Le pendule de Foucault et la rotation de la Terre





Etoiles fixes dans les 12 signes du zodiaque, 28 maisons lunaires et 36 constellations boréales
Image Medieval Views of the Cosmos, Edson & Savage-Smith, Bodleian Library

Depuis des siècles déjà le mouvement de rotation de la Terre sur elle-même était admis par tous; plus rien n’était à démontrer en la matière du côté des astronomes, et le principe d’inertie ne semblait plus avoir de secrets pour les physiciens, quand une petite expérience mit la puce à l’oreille d’un jeune physicien fort discret qui enchaînera avec la célèbre expérience du Panthéon suivie de l’invention du gyroscope. Montrer la rotation de la Terre sur elle-même en ignorant l’existence de la voûte étoilée ? Incroyable stupeur, et succès populaire de cette belle expérience de physique.
Léon Foucault*, se signalera par une étonnante capacité à imaginer de nouvelles expériences, à les réaliser avec une adresse d’artiste surdoué, mais aussi d’en cerner tous les créneaux et potentialités. On lui doit l’invention de l’héliostat, du sidérostat, de régulateurs isochrones variés pour les horloges et la vitesse d’entrainement des télescopes au rythme des étoiles mais aussi à celui des comètes, régulateurs encore pour les moteurs rotatifs et hélices des navires. On lui doit aussi de nouveaux procédés photographiques et la première image d’une éclipse de Soleil. Enfin, avec Hippolyte Fizeau, des expériences de spectroscopie interférentielle (spectres cannelés), et la démonstration que les rayons dits «caloriques» étaient un rayonnement ondulatoire infra-rouge.
C’est en raison de ses qualités expérimentales et pour la construction de nouveaux instruments d’observation astronomiques que Le Verrier recruta Léon Foucault, physicien et élève d’Arago, à l’Observatoire de Paris. Foucault a acquis sa place dans l’Histoire de l’Astronomie pour la démonstration de la rotation de la Terre sur elle-même, pour la mesure de la vitesse de la lumière dans l’air et dans l’eau, et pour l’invention et la réalisation du télescope moderne, à miroir en verre argenté.

La mesure de la vitesse de la lumière dans l’air et dans l’eau, soit un temps de un cent millionième de seconde avec les moyens techniques du XIXe siècle demeure une prouesse de la méthode expérimentale. Arago venait de montrer que la nouvelle théorie ondulatoire de la lumière d’Augustin Fresnel, prévoyait une vitesse de la lumière plus grande dans l’air dans l’eau alors que l’ancienne théorie de «l’émission», impliquant des forces, prétendait expliquer la loi sin i = n sin r, en raison d’une vitesse de la lumière plus grande dans l’eau que dans l’air. L’enjeu était de taille. Une mesure particulièrement difficile dans l’eau car l’image transmise n’est guère de bonne qualité au delà de 3mètres, une distance parcourue en 1cent millionième de seconde dans l’air, et 1/3 de plus dans l’eau, une expérience de laboratoire à comparer avec, deux siècles auparavant, la mesure de Römer de la vitesse de la lumière dans le vide interplanétaire, déduite de la rotation du premier satellite de Jupiter qui subissait parfois un retard apparent de 16minutes, retard qui n’était explicable que par le parcours supplémentaire (calculable) alors effectué par la lumière. Reprenant l’idée d’Arago d’un miroir tournant à grande vitesse, Foucault eut la finesse de le placer au centre de courbure commun de deux miroirs concaves (l’un sur le trajet d’eau, l’autre sur le trajet d’air) qui renvoyaient ainsi les images intermittentes (désormais permanentes à cette fréquence) sur un même oculaire micrométrique situé au point de départ commun de la lumière. La vitesse de la turbine à vapeur tournant à 800tours/secondes était mesurée par battement acoustique à l’unisson de l’ut4 (512Hz), la déviation de l’image dans l’oculaire micrométrique était de 0,375mm pour l’air (vitesse 298.000km/s) et 0,469mm pour l’eau (vitesse 220.000km/s).


Foucault Léon, 1878, Recueil des travaux scientifiques de Léon Foucault publié par sa mère, mis en ordre par Gariel, avec notice de Bertrand, édition Gauthier-Villars. 
Tobin William, 1987 et 1993, Vistas in astronomy, et 2002, Léon Foucault par William Tobin, adaptation française de James Lequeux, édition EDP Sciences. 
Georgelin Yvon, 1994, Marseille à la conquête du ciel, L’astronomie en Provence, de Pythéas à Charles Fabry, édition Ville de Marseille. 




La lunette de Galilée et les télescopes à miroirs en bronze, si peu réfléchissants de Newton et d’Herschell, marquèrent la fin de l’Astronomie Ancienne, à l’œil nu, mais c’est vraiment avec le télescope de Foucault à miroir en verre argenté, de forme parabolique maîtrisée, que l’on entre dans l’Astronomie Moderne et l’astrophysique. Foucault, qui avait déjà poli de grands objectifs achromatiques, connaissait les propriétés optiques exceptionnelles des surfaces de verre, il y ajoutait le pouvoir réflecteur élevé des métaux sans que cette fine argenture chimique uniforme d’un dixième de micron ne vienne altérer la qualité optique de la surface. Aujourd’hui la «donne» n’a pas changé, le télescope spatial Hubble est en verre aluminé malgré la fragilité du verre et en dépit des progrès de nouveaux matériaux, céramiques et résines. Foucault fut également le premier à polir un miroir vraiment parabolique, car il imagina une méthode optique dite «de Foucaultage» permettant d’identifier les zones de défauts du miroir, de mesurer l’amplitude des bosses résiduelles, et de les éliminer avec de large outils selon sa nouvelle méthode dite «des retouches locales». Malgré son épaisseur, 4cm au bord et 8cm au centre, le grand miroir de 80cm de diamètre du télescope de Foucault demeurait sensible aux déformations de la pesanteur, Foucault innova à nouveau en supportant le miroir sur coussin d’air dont il variait la pression afin d’éviter son «flambage» quand les astres baissent sur l’horizon ; ce miroir «déformable» fut l’ancêtre de l’optique adaptative de nos télescopes modernes.


Foucault Léon, 1878, Recueil des travaux scientifiques de Léon Foucault publié par sa mère, mis en ordre par Gariel, avec notice de Bertrand, édition Gauthier-Villars.
Tobin William, 1987 et 1993 Vistas in astronomy, et 2002, Léon Foucault par William Tobin, adaptation française de James Lequeux, édition EDP Sciences.
Georgelin Yvon, 1994, Marseille à la conquête du ciel, L’astronomie en Provence, de Pythéas à Charles Fabry, édition Ville de Marseille.

Foucault nous décrit ici une petite expérience qui le mit sur la piste de la grande expérience du pendule au Panthéon : «L’indépendance du plan d’oscillation et du point de suspension peut être rendue évidente par une expérience qui m’a mis sur la voie et qui est très facile à répéter. Après avoir fixé sur l’arbre d’un tour et dans la direction de l’axe une tige d’acier ronde et flexible, on la met en vibration en l’écartant de sa position d’équilibre et en l’abandonnant à elle-même; ainsi on détermine un plan d’oscillation qui, par la perception des impressions visuelles, se trouve nettement dessiné dans l’espace. Or on remarque qu’en faisant tourner à la main l’arbre qui sert de support à cette tige vibrante, on n’entraîne pas le plan de vibration».

Le principe de la fixité du plan d’oscillation, comme du plan de vibration, semblait dès lors acquis.



L’expérience qui rendit Foucault célèbre est celle du «pendule» réalisée en mars 1851 au Panthéon. Une sphère de laiton de 28kg, suspendue à l’extrémité d’un filin d’acier de 67mètres de long accroché au sommet de la célèbre coupole décorée de fresques, oscille lentement au rythme de 16 secondes par aller-retour. Les Parisiens accourent très nombreux voir ce gigantesque pendule dont le plan d’oscillation se déplace graduellement d’Orient en Occident. Le public, massé tout autour, le long de la rampe circulaire en bois de buis, peut lui-même constater qu’à chaque balancement, le pendule se décale très légèrement dans le sens Est-Ouest et vient en des points successifs le long de la rampe. En fait, cette déviation n’est qu’un mouvement apparent, un déplacement trompeur du pendule ; en réalité c’est tout l’édifice plafond et sol qui pivote en raison de la rotation de la Terre sur elle-même. C’est le plan d’oscillation du pendule lui-même qui reste stable par rapport aux étoiles et c’est la Terre que l’on voit tourner.

Caractéristiques de l'expérience du Panthéon

  • Latitude du Panthéon 48° 50’49’’ 
    sinus de la latitude 0,7529543 
    longueur du pendule 67 mètres
    déviation apparente en 1 jour sidéral 271°03’48’’,8
    durée du temps nécessaire pour faire le tour entier 31h52m27,9s
    durée calculée de l’oscillation 8,233 secondes
    déviation pendant la durée d’une oscillation 1’32’’99

La rampe du Panthéon ayant 18 mètres de circonférence, le pendule se décale à chaque aller-retour de 2,3 millimètres, d’Ouest en Est, le long de la rampe.

Le phénomène est compliqué car «la vitesse de rotation du plan d’oscillation du pendule est égale à la vitesse angulaire de la Terre multipliée par le sinus de la latitude». Ainsi, pour le Panthéon, 48°50’ de latitude, il tourne en 32 heures environ, au lieu de 24 au pôle. La démonstration mathématique est difficile, elle échappait à Foucault et mobilisa les plus grands mathématiciens.

Le gyroscope, un instrument «qui fait voir la rotation» selon son étymologie. Cet instrument relativement simple et modeste permettrait… à un homme, isolé dans une chambre, sans jamais avoir vu le ciel étoilé, ni utilisé de boussole, ni arpenté le méridien terrestre à pas de chameaux, ni le méridien céleste avec l’ombre du gnomon… de mettre successivement en évidence la rotation de la Terre sur elle même, la direction du Nord et la latitude du lieu.

Alors que le pendule oscille dans un plan, le gyroscope est une roue, «un tore», qui tourne rapidement et définit ainsi un plan fixe. Cela peut sembler un paradoxe puisque Foucault fait tourner un corps pour « assurer» la stabilité de son plan dans l’espace. Tous les adolescents ont pu faire cette expérience facile avec la roue-avant de leur vélo. En tenant en chaque main les deux extrémités de l’axe de la roue, (les deux bras servent alors de fourche), et en la faisant tourner avec les doigts libres. On s’aperçoit alors qu’il devient difficile de basculer la roue dès qu’elle tourne un peu vite. Le plan de rotation demeure immuable c’est la raison pour laquelle on tient sur un vélo dès qu’il a pris un peu de vitesse.

Dans le gyroscope de Foucault* le tore, en rotation rapide, est supporté par une succession de cardans emboîtés les uns dans les autres : un premier cercle horizontal soutient l’axe de rotation du tore, ce cercle est lui-même fixé sur un deuxième cercle vertical qui lui-même est mobile autour d’un axe vertical. On fait alors tourner la masse du tore à 150 tours par seconde avec des engrenages démultipliés et, au gré de l’expérimentation, on décide bloquer ou de libérer tel ou tel cardan. Les index des cardans «libérés» viennent se positionner devant les repères gradués correspondants. Ils indiquent alors soit la rotation de la Terre sur elle-même (comme la rambarde du pendule de Foucault), soit la direction du Nord, soit la hauteur du pôle au-dessus de l’horizon, c’est-à-dire la latitude du lieu.


Foucault Léon, 1878, Recueil des travaux scientifiques de Léon Foucault publié par sa mère, mis en ordre par Gariel, avec notice de Bertrand, édition Gauthier-Villars.