Tables, Abaques, Ephémérides, Volvelles




Calendrier, livre de Kells, vers 807, Trinity College de Dublin, éd. Thames et Hudson 1996.

Les babyloniens furent les premiers astronomes à établir des tables et éphémérides de prévisions des positions des planètes dans le zodiaque, et les dates de leur réapparition après de semaines d’absence. A l’époque médiévale, ces éphémérides étaient tenues par des moines, d’où leur nom d’al-manach ; ils survécurent sous forme populaire avec les almanachs Flammarion, du marin breton ou Hachette et aujourd’hui, «survivance minimum», nos calendriers et nos bulletins météo. Ces derniers, avec les dates des solstices et équinoxes, des nouvelles lunes pleines lunes et quartiers à venir, permettent tout de même de connaître l’anomalie lunaire et les dates de périgée et d’apogée et même de discerner les mois où les éclipses sont impossibles comme nous l’avons vu. Le Nautical almanach donne les heures des levers et couchers des astres pour les marins et la Connaissance des temps les mouvements des planètes pour les astronomes. Les éphémérides perpétuelles, comme leur nom l’indique, regroupent les paramètres caractéristiques fondamentaux et séculaires des orbites planétaires.
De l’Antiquité il nous reste le catalogue d’étoiles d’Hipparque. De la période médiévale,  des tables : tables Tolédanes ou Alphonsines qui donnaient les positions des planètes, tables Rudolphines que Tycho Brahé et Képler dressèrent pour cet empereur germanique, des tables qui remettaient à jour les paramètres séculaires des planètes errantes.

Sur cette tablette et document de travail du British Museum présenté par Otto Neugebauer* figurent les noms des grands pionniers déchiffreurs de l’astronomie babylonienne Epping et Kugler. Ces éphémérides comportent 18 colonnes alors que pour les planètes supérieures elles ne comportent que 5 colonnes. On voit là toute la complexité du mouvement de la Lune : plus de la moitié des 300 tablettes astronomiques babyloniennes sont consacrées au mouvement de la Lune, lié aux éclipses.

Pour les planètes supérieures, Mars Jupiter et Saturne, les éphémérides donnent les 5 dates cruciales (et les positions ces jours-là sur l’écliptique) qui définissent l’orbite de la planète : première visibilité le matin à son lever, première station, opposition au Soleil, deuxième station, dernière visibilité le soir au coucher. Rappelons que, deux millénaires avant notre ère, les chaldéens connaissaient les stations et les rétrogradations des planètes supérieures et qu’à l’époque de Kidinnu, IVe siècle, ils savaient calculer et prévoir les conjonctions des planètes et même les triples conjonctions, assez rares, de Jupiter et de Saturne.

Pour la Lune au mouvement plus complexe 18 colonnes étaient nécessaires. Outre son anomalie de vitesse, approximation empirique de la loi des aires, les astronomes babyloniens tenaient compte de la rotation de la ligne périgée-apogée en 8 ans 310 jours, et de la précession du plan de l’orbite lunaire en 18,6 ans.


Neugebauer Otto, 1975, A History of Ancient Mathematical Astronomy pp. 347-555, plate XII, éd. Springer-Verlag, Berlin.



Les éphémérides de Jupiter, les plus précieuses car les plus détaillées en longitude, sont aussi celles qui ont été établies sans discontinuité pendant plusieurs siècles et nous sont parvenues quasiment intactes.

Les éphémérides des planètes, établies sur 5 colonnes, donnent les dates de leurs première visibilité (tous les 399 jours en moyenne pour Jupiter), de leurs première station, de leurs opposition acronuctale, de leurs deuxième station, et de leurs dernière visibilité. Pour les planètes supérieures, Mars Jupiter et Saturne, les éphémérides tenaient compte du déplacement plus rapide des planètes dans certains signes du zodiaque, au périhélie (au plus près du soleil, hélios) et plus lent dans les signes opposés, à l’aphélie. Leurs vitesses suit en effet la loi des aires de Képler, ils en ignoraient l’expression mathématique savante mais avaient établi des tables de corrections basées sur 5 siècles d’observation. Des tables de corrections soit en discontinu par secteurs angulaires dans le zodiaque et avec paliers de vitesses (fonction pas à pas), soit en continu, par secteurs avec gradient de vitesses (fonction zigzag). Ces tables permirent aux astronomes babyloniens de découvrir les valeurs de l’arc synodique de Jupiter (le supplément d’orbite à parcourir pour revenir devant le Soleil après un tour dans le zodiaque), arc synodique qui varie de 28° une année où Jupiter sera dans la zone du zodiaque où se situe son apogée (aphélie), jusqu’à 38°, six ans plus tard, quand Jupiter sera à l’opposé dans le zodiaque et à son périgée (périhélie).

En latin et en tadjik une table de longitude et latitude d’étoiles par Ulugh Beg à Samarkand.

Une table d’Apian, l’astronome de Charles Quint, qui donne les positions de Saturne dans les signes du zodiaque de - 7 000 avant notre ère à + 7 000. Cette date de - 7000 est celle que l’on imaginait alors comme étant la plus reculée pour la création d’Adam et Eve, au temps d’Alphonse X Le Sage, roi de Castille et empereur germanique.



Il y a quelques années un ingénieur des Arts et Métiers d’Aix-en-Provence, me fit découvrir les volvelles de Jupiter et de Saturne, un mot que j’ignorais et un magnifique système de calcul des positions des planètes ; cet ingénieur avait «élucidé les mystères des équatoires dans l’Almageste de Ptolémée* dans sa traduction de l’abbé Halma», aujourd’hui accessible sur internet, et «avait réussi à interpréter les volvelles de longitude des planètes dans l’Astronomicum caesareum de Pierre Apian», l’astronome de Charles Quint à Ingolsdadt. C’est le plus beau livre d’astronomie, imprimé au XVIe siècle, à l’apogée de l’art de l’imprimerie. Les deux images, volvelles de longitude de Saturne, et volvelles de latitude de Jupiter, sont extraites de Figures du ciel* une magnifique édition de la Bibliothèque Nationale et véritable livre d’art.

Les volvelles. Du latin volver, tourner, comme «le révolver de Janssen» un appareil photographique équipé d’un barillet tournant porte-plaques qui permit, au XIXe siècle, les premières séquences rapides d’éclipses de Soleil. Il y a jusqu’à cinq abaques tournantes superposées et notre sempiternel petit cercle épicyclique qui tourne également. Pour connaître les longitudes des planètes, au degré près, et pour l’année de son choix, il fallait tendre vers la périphérie l’un des fils de soie qui était muni d’une perle marquant la graduation radiale. Le cercle le plus extérieur est partagé par les 12 signes du zodiaque de 30°.


Ptolémée Claude, 150, Composition mathématique ou Almageste, première traduction du grec en français par l’abbé Nicolas Halma, 1813 et 1816, et suivie des notes de Jean-Baptiste Delambre, à lire livre III, chap. 4, p.184. Aujourd’hui accessible sur internet

Lachièze-Rey Marc et Luminet Jean-Pierre, 1998, Figures du ciel, Bibliothèque nationale de France, Seuil.

Cet érudit modeste «restait admiratif devant les volvelles de latitude des planètes dans l’Astronomicum d’Apian» et «avouait avoir lamentablement séché devant les mêmes chapitres de l’Almageste de Ptolémée».

On voit ici une abaque en 3D : rho, theta, z. Les isophotes de latitude sont précises, de 5 en 5’ d’arc ; tous les degrés, 5 fois 12, l’isophote est renforcée. La double obliquité de Jupiter est bien 2°36’. Dans le petit secteur du haut on ajuste radialement la perle le long du fil selon la date choisie, mois et décan. Petit piège, l’orbite de Jupiter coupe le plan de l’écliptique selon une ligne des nœuds. Sur le cercle extérieur, les 12 signes du zodiaque vont se compter sur 2 tours : 6 signes de 60° pour le premier tour… arrivé en haut on rebrousse chemin… et on décompte les six autres de 60° en sens inverse. Un rebroussement qui peut se produire n’importe où dans le zodiaque.



Dans son livre Le secret de Copernic, Jean-Pierre Luminet raconte l’entrevue explosive entre Pierre Apian, dont le livre splendide marquait le couronnement d’une carrière et la fin d’une longue époque, et Rhéticus l’assistant de Nicolas Copernic et son seul disciple:

«Dès que Rheticus interrogea Apian sur Copernic, son visage jovial se ferma d’un coup. Apian se lança dans une diatribe évoquant un fou dangereux, un athée, un blasphémateur que d’ailleurs Luther et Melanchthon avaient tous deux condamnés».

Alors Rheticus fort déçu, quitta son hôte avec l’idée que «sa confiance aveugle en Ptolémée lui faisait gaspiller des heures et n’aboutissait à rien d’autres qu’à bâtir, à grand renfort de nœuds et de spirales tout un labyrinthe de lacets enchevêtrés».


Luminet Jean-Pierre, 2002, Le bâton d’Euclide,
Luminet Jean-Pierre, 2006, Le Secret de Copernic, éditions Jean-Claude Lattès, Livre de poche.
Lachièze-Rey Marc et Luminet Jean-Pierre, 1998, Figures du ciel, Bibliothèque nationale de France, Seuil.