Les alignements mégalithiques de Carnac et d'Uxisama




Les alignements de Carnac au crépuscule. Image Margaret Oliphant, L’atlas du monde Antique : l’Europe préhistorique, édition France Loisirs 1994

Les alignements mégalithiques de Carnac étudiés par l’astronome britannique Alexander Thom, en 1966, comme les repères naturels d’Uxisama, l’île d’Ouessant, découverte par Pythéas le massaliote au IVe siècle avant notre ère, peuvent être considérés comme des observatoires propices à l’observation des azimuts des couchers de la Lune... 

Cette aquarelle de Caroline Franklin-Grout-Flaubert illustre le récit de voyage en Bretagne de Gustave Flaubert, son oncle :
«Voilà donc, écrit-il, ce champ de Carnac qui a fait écrire plus de sottises qu’il n’a de cailloux». Il y eut tant d’interprétations en effet, qu’on ne peut qu’approuver. 

En ce qui concerne l’astronomie, qui n’était pas alors visée dans ces propos à l’époque de Flaubert, on peut dire que Carnac est le seul site mégalithique qui ait eu une activité astronomique digne du nom d’observatoire, ce que Stonehenge ne mérite pas à notre avis. 

Depuis 2007 le site de Carnac est désormais rejoint par le site de Chankillo dans la cordillère des Andes où l’archéologue Ivan Ghezzi a découvert d’imposantes structures propices à l’observation des levers extrêmes de la Lune



Sur la carte du golfe du Morbihan, avec à gauche la presqu’île de Quiberon et au fond du golfe, "Er Grah", le Grand menhir brisé, Alexander Thom* a reporté les 8 alignements lunaires de base qu’il fut le premier à identifier. Ces alignements indiquent les limites extrêmes des levers et couchers de la Lune lorsque le plan de l’orbite lunaire précesse selon son cycle de 18,6 ans.

*Thom Alexander, 1971, Megalithic Lunar Observatories, Oxford University Press 1971.

Les alignements du Menec dans leur état actuel.



Alexander Thom*, cet Ecossais professeur à Oxford, effectua les relevés au théodolite des différentes rangées de menhirs des alignements du Menec et des alignements de Kermario, c’est l’un des fondateurs de l’archéoastronomie, une section scientifique qui rassemble chaque année les astronomes et archéologues de tous les pays. Alexander Thom fut le premier à considérer que ces alignements répétés, légèrement en éventails, constituait un système de repères des couchers de la Lune sur l’horizon, une table d’interpolation permettant de mesurer ces azimuts avec la meilleure précision possible. 

Alexander Thom*, a fait remarquer que du Géant du Manio, un menhir de 20 pieds de haut, situé sur une légère butte, on pouvait observer des couchers extrêmes de la Lune dans l’axe des alignements du Menec et de Kermario vus légèrement en biais et en éventail et utiliser cette grille serrée de repères pour suivre les légers décalages de la Lune sur l’horizon dues aux variations de l’inclinaison du plan de l’orbite lunaire. 


* Thom A. and Thom A .S., 1971, The astronomical significance of the large Carnac menhirs, in Journal of the History of astronomy, 1971, ii,147-160, printed by W. Heffer Cambridge, copyright M.A Hoskin.

Attention ! on est en présence de trois mouvements sinusoïdaux superposés :

. l’aller-retour mensuel du sud-ouest au nord-ouest
. la précession du plan de l’orbite lunaire en 18,6 ans, de part et d’autre de l’écliptique, toujours centré sur la ligne des équinoxes Est-Ouest. Ce mouvement ne nécessite qu’un seul repère pour chaque maxima +/-28°5 et minima +/-18°5, au lever comme au coucher, soit 8 repères permanents au total.
. Le mouvement d’oscillation du plan de l’orbite lunaire, entre 5° et 5°18’ en 173 jours qui accompagne le mouvement sinusoïdal précédent à longue période. Ainsi 39 oscillations sinusoïdales de 173 jours de période vont venir «festonner» une ample et lente modulation sinusoïdale de 18,6 ans entre les déclinaisons extrêmes maximales, 28°5, et minimales 18°5. Chacun de ces cycles de 173 jours a une «origine» flottante, ce n’est jamais exactement la même déclinaison de départ on ne peut donc la matérialiser par un repère propre ; ce n’est pas un repérage absolu mais des mesures relatives par rapport aux 6 mois précédents. Ce 3e mouvement sinusoïdal nécessite donc une multitude de repères dans au moins 1 des 4 grands secteurs d’horizon (environ15°) autour des solstices. A Carnac on a privilégié les couchers, ils permettent d’anticiper le moment de la mesure ; la configuration du golfe du Morbihan ouvert vers la mer favorisait l’horizon sud-ouest plus dégagé.




Les années du cycle de 18,6 ans, voisines de l’élongation maximale (28°5) et minimale (18°5), sont idéales pour observer le léger décalage d’inclinaison du plan (de 5° à 5°18’) qui amène les conditions des éclipses.
Nous n’avons pas tenu compte dans ce graphique de principe des irrégularités qui se produisent quand la Lune vient se coucher 7, 8, 9, 10 ou 11 heures avant ou après l’heure où sa déclinaison atteint sa valeur extrême ; nous avons longuement discuté de ces imprécisions qui atténuent la précision de la méthode sans la rendre caduque.
Le décalage latéral sur l’horizon, 24’, presque comparable au diamètre de la Lune ne peut échapper à un observateur. Il aura suffit qu’un observateur remarque ce mouvement toutes les 6 lunaisons et qu’une éclipse de soleil ait lieu quelques jours plus tard pour corréler les deux phénomènes. Déjà ces peuples avaient su corréler les grandes marées avec les cycles Pleines Lunes et Nouvelles Lunes.

A droite, pierre sculptée du cairn de Gavrinis par Yvon Boelle*. Charles-Tanguy Le Roux* nous rapporte le point de vue de Prosper Mérimée qui fut aussi conservateur des monuments historiques et l’un des premiers protecteurs de notre patrimoine : «Ce qui distingue le monument de Gavrinis de tous les dolmens que j’ai vus, c’est que presque toutes les pierres composants ses parois sont sculptées et couvertes de dessins bizarres. Ce sont des courbes, des lignes droites, tracées et combinées de cent manières différentes…On en distingue un petit nombre que leur régularité et leur disposition singulière pourraient faire ressembler à des caractères d’écriture…». Charles-Tanguy Le Roux* nous commente ces dessins sculptés connus sous les noms de crosses, arceaux, chevrons, haches, anneaux, écussons, spirales, corniformes et, cas rare, serpentiformes comme ici sur une pierre du couloir d’entrée de ce cairn de Gavrinis et comme sur le menhir du Manio. 

Rêvons un peu. Si un astronome du néolithique avait cru percer le mystère des éclipses, il lui était aisé de transmettre sa découverte par un simple geste en esquissant une sinusoïde. Un dessin tel celui de l’image de gauche avec 4 sinusoïdes symétriques 2 à 2 aurait été suffisamment explicite pour léguer cette information à la postérité ; une information qui aurait pu être volontairement masquée sous cet aspect serpentiforme. 

Combien de temps cette activité astronomique s’est-elle maintenue ? quelle a été sa portée réelle ? on l’ignore. La méthode, trop fragile et trop subtile, a-t-elle été oubliée ou abandonnée ? Y a-t-il eu de nouvelles tentatives avec d’autres alignements ou d’autres points de visée ? les archéologues auraient-ils assez d’éléments pour y répondre. En tous cas prévoir les éclipses était un enjeu suffisamment important pour justifier la construction de tels alignements. 

* Le Roux Charles-Tanguy et Boelle Yvon, 2001, Carnac, Locmariaquer et Gavrinis, éditions Ouest-France.



L’île d’Ouessant, un passage maritime obligé, fréquenté par les peuples de la mer, une île connue des phéniciens et des grecs, fut habitée sans discontinuité du néolithique récent 3000-2000 à l’âge du bronze. Au IVe siècle l’astronome Pythéas fit escale en cette «île haute», Uxisama, une vigie sur l’Océan, entourée d’un chapelet d’îles et de côtes rocheuses, autant de repères naturels propices à l’observation des levers de la Lune. Une île où une communauté très organisée de 200 à 400 personnes vivait en autarcie. 

Jean-Paul Le Bihan* Jean-François Villard et leur équipe ont montré que les activités artisanales, métallurgie du bronze creusets et moules, patelle de bronze très rare, fils d’or torsadés, bracelets en argent à fermoir mobile, torque d’or, fours et ateliers de poterie, activité de tissages mais aussi les activités rituelles et religieuses, offrandes et sacrifices de petits animaux, temple, sépultures et mobilier funéraires faisaient de ce site une exception comparée aux sites continentaux contemporains. 

Quelles curiosités ? Quel spectacle ? Quelles distractions ? pour cette communauté totalement isolée entre mer et ciel. Vivre au rythme des marées lui-même corrélé aux phases de la Lune, en anticiper l’heure et l’amplitude car elles commandent toutes les activités maritimes. Scruter l’horizon, l’arrivée d’éventuels navires, amis ou ennemis. Scruter le ciel et les vents. Rechercher les maigres curiosités astronomiques : la position des planètes dans les signes du zodiaque, les azimuts toujours changeants des levers et couchers de la Lune. 

Au cours d’une vie, avoir vu la Lune se lever toujours au nord du Conquet durant son enfance. L’observer, à l’adolescence, venir se lever plus au sud à la pointe saint Matthieu comme le soleil au solstice d’hiver. Et, à l’âge adulte, la voir se lever au-dessus de la presqu’île de Crozon ! Les Anciens disaient bien qu’elle n’irait pas plus au Sud. 

Une sarabande de la Lune sur l’horizon qui ne pouvait échapper à personne à cette époque-là. 

* Le Bihan Jean-Paul, et Villard Jean-François, 2001, Archéologie d’une île à la pointe de l’Europe : Ouessant. Tome 2 :Habitat de Mez-Notariou des origines à l’âge du bronze Tome 1 : Le village de Mez-Notariou au premier âge du fer, édition Centre de recherche archéologique du Finistère.


Nous avons encadré les années où l’inclinaison du plan de l’orbite lunaire s’ajoute ou se retranche à l’inclinaison de l’écliptique ; la Lune atteint alors chaque mois sa déclinaison maximale de 28°5, ou, 9,3 ans plus tard, ne dépassera pas sa déclinaison minimale 18°5. Dans ces deux cas stationnaires, on peut suivre les oscillations du plan de l’orbite lunaire de 5° à 5°18’ en 173 jours qui annonce une possibilité d’éclipse. 

Les années intermédiaires l’opération devient problématique. On distingue encore des paliers sur 2 à 3 lunaisons consécutives mais on ne peut identifier ni le maximum ni le minimum.



Nous voici de retour sur notre site naturel d’Ouessant. La Lune semble avoir atteint sa course vers le « Sud » lors de ses levers au-dessus de l’île de Molène. On assiste alors à quelques valses-hésitations vers l’île de Trielen : retours vers Molène pendant 1, 2, 3 lunaisons, à nouveau vers Trielen pendant 4, 5, 6 lunaisons, à peine plus loin et ainsi pendant 3 autres cycles de 173 jours avant de régresser définitivement pendant 9,3 ans. 

Une séquence que l’on peut suivre devant les menhirs et rochers de l’îlot de Trielen pendant près de 2 ans, soit 4 cycles de 173 jours et donc 4 possibilités d’éclipses. Il aura suffit qu’une éclipse se produise à quelques jours (forcément aux NL ou PL les plus proches) de l’un de ces 4 levers extrêmes de la Lune sur Trielen pour que l’observateur fasse immédiatement la corrélation entre les éclipses et le décalage maximum sur l’horizon.


Georgelin Yvon, 2007, Astronomes et pilotes, ils scrutent l’horizon ; prédire les éclipses dans l’Antiquité, pp.11-29 in Routes du monde et passages obligés, Actes du colloque international d’Ouessant sous la direction de J.-P. le Bihan et J.-P. Guillaumet.

A deux reprises nous avons signalé les irrégularités de la sinusoïde que l’on observe en réalité: l’azimut de la Lune est sous-estimé les mois où elle se lève 6 à 12 heures avant ou après l’heure précise où elle atteint sa déclinaison maximale. 

Soulignons les qualités de cette méthode, elle brille par sa simplicité, elle est à la portée de tous. Le décalage est nettement mesurable même si des erreurs ne sont pas exclues ; la méthode permet de réajuster le rythme des éclipses 6 lunaisons en général, parfois 5. Le concept est élégant. Comme l’a souligné André Danjon (1) «c’est une erreur d’admettre dans le calcul des éclipses que tous les éléments de l’orbite de la Lune peuvent prendre indépendamment toutes les valeurs possibles entre leurs limites extrêmes». L’inclinaison de l’orbite lunaire revient fatalement à sa valeur 5°18’ lors du retour du Soleil sur la ligne des nœuds. Paul Couderc (2) souligne que « beaucoup d’auteurs font encore l’erreur de calculer les éclipses en prenant pour l’inclinaison de son orbite sa valeur moyenne de 5°09’ au lieu de prendre 5°18’ sa valeur maximum ». Sans le savoir les observateurs du néolithique s’appuyaient sur cette propriété assez rare, on pourrait même dire une vertu, pour prédire les éclipses… même si le résultat pouvait conduire à l’échec. 


 (1)Danjon André, 1952, Astronomie générale, astronomie sphérique et éléments de mécanique céleste, édition J.&R. Sennac. 

 (2) Couderc Paul, 1961, Les éclipses, éd. Que sais-je ?