Où va le soleil la nuit ? Que deviennent les étoiles le jour ?




L'Ecole d'Athènes, 1508 - 1510, fresque de Raphaël, Chambre de la Signature, Chapelle Sixtine, Vatican. Analyse de l'image in profhistoire.webnode.fr

Sur cette œuvre magistrale Ecole d’Athènes, Raphaël a rassemblé autour de Platon et d’Aristote, des savants de l’Antiquité, citons Thalès, Anaximandre, Pythagore, Socrate, Parménide, Héraclite, Euclide, jusqu’à Hipparque et Ptolémée, et Averroès, à Cordoue au XIIe, l’un des derniers commentateurs d’Aristote. Tellement de choses nous semblent évidentes aujourd’hui qu’on n’imagine pas les difficultés que durent affronter les grecs de l’époque hellénistique avant de pouvoir s’investir dans une astronomie très savante, telles :

  • l’anomalie de vitesse de la Lune qui se déplace plus rapidement au périgée qu’à l’apogée 
  • la durée inégale des saisons qui prouve selon Hipparque qu’en hiver la Terre est le plus proche du Soleil
  • Jupiter qui effectue un tour dans le zodiaque en 11 ans 315 jours (mesure babylonienne, précision de 1 jour ) avec un déplacement plus rapide dans les Poissons (arc synodique 38°02’) que dans la Vierge (28°15’).

Mais avant d’en arriver là, est-ce le même soleil qui se lève chaque jour, au nord-est l’été, à l’est en automne puis sud-est en hiver ? Où va-t-il la nuit ? Plonge-t-il dans l’Océan ? Le longe-t-il ? Passerait-il sous nos pieds la nuit ? comme sur nos têtes le jour. La Terre flotterait-elle dans l’espace ? Mais alors l’eau coulerait et l’océan se viderait ? Les hommes qui vivraient aux « antipodes », leurs pieds vers les nôtres, ne tomberaient-ils pas ?

Et la Lune, tantôt sombre, tantôt un luminaire. Elle n’émet donc pas de lumière, mais nous renvoie celle du Soleil. Examinons ses phases, qu’elle soit croissant, quartier, gibbeuse ou pleine, la limite entre lumière et ombre est toujours un arc de cercle ! Elle est donc sphérique. Et la Terre ne serait-elle ronde elle aussi ?

Justement, en examinant l’ombre de la Terre sur la Lune lors des éclipses, Pythagore remarqua que cette ombre qui défilait sur la Lune était toujours circulaire, et ceci que la Lune soit au plus haut dans le ciel ou proche de l’horizon, à l’est ou à l’ouest : c’était bien la preuve que la Terre n’est pas un disque circulaire mais une sphère car un disque circulaire éclairé par la tranche donne une ombre rectangulaire.

Ici, le Triomphe du Temps de Pétrarque. La réponse de cet artiste anonyme est perspicace. Dans la journée les étoiles sont bien là, entourant le Soleil, mais on ne les voit pas car elles sont noyées dans le ciel bleu : une part importante de la lumière du Soleil nous revient indirectement, de toutes les directions, après avoir été renvoyée, «diffusée», par les molécules de l’atmosphère. Ces étoiles invisibles en plein jour, ce sont les mêmes qui ont brillé la nuit six mois plus tôt et brilleront encore six mois plus tard. 

Quand au Soleil, il est représenté sur l’écliptique, on reconnaît les 12 constellations du zodiaque.



Manuscrit du XIIème, Mont Saint Michel, Monographie patrimoine, Editions Ouest-France

Pour trouver Mercure et Vénus au crépuscule, et les étoiles brillantes en plein jour, les astronomes grecs utilisaient un tuyau. On gagne en contraste, et l’œil réduit ses saccades de balayage au petit champ du tuyau.  

De nuit, cet astronome acrobate - XIIe siècle - peut observer des étoiles de magnitude 8,4 au lieu de 6 comme l’ont montré Charles Fabry et Hebert Curtis. Un gain de 10. 

En cartouche, la représentation symbolique dite T-O sépare les 3 continents. Dans la moitié haute de la carte, l’Europe, le plus grand continent alors connu, est isolé par l’axe horizontal Méditerranée, Pont Euxin, Caspienne. Dans la moitié basse, la mer Rouge, verticale sépare l’Afrique - on disait alors la Libye - de l’Asie.

La Terre est un disque plat. Mare nostrum est entourée desTerres habitées, que l’Océan cerne de toutes part. C’est la géographie d’Hécatée et d’Hérodote.

Les colonnes d’Héraklès au couchant et la Caspienne au Levant sont les deux passages qui permettent de pénétrer dans l’Océan. Pythéas, au IVsiècle, découvrira que l’Océan est fermé, que l’on ne peut faire le tour. Il précise que l’on doit remonter les fleuves et charger les navires sur des chariots, le futur itinéraire des Varègues et des Vikings.



Les abîmes, les abysses, bornent le monde. 

Au VIIe siècle avant notre ère, dans un hymne au Voyage du Soleil, le poète sicilien Stésichore, héritier d’Homère, écrit : 

«Le Soleil est monté dans une coupe d’or
Par-delà l’Océan il s’est mis à marcher, 
Jusqu’aux abîmes noirs des ténèbres sacrées»


Aujourd’hui on conçoit la voûte céleste comme un hémisphère…on nous l’a rabâché dès l’enfance… mais la première impression donnée par nos sens serait celle d’une 
calotte sphérique : une voûte surbaissée, ce qui contribue à créer cette fausse impression de fuite du Soleil vers l’horizon.
Avec modestie, le mathématicien Euler reconnaissait que cette
 impression visuelle est difficile à expliquer scientifiquement, tout comme la sensation visuelle contradictoire : …la Lune nous paraît plus grande sur l’horizon qu’au zénith.

Le disque du Soleil. 


La barque du Soleil pour les Egyptiens. Mais, où va donc la barque du Soleil ? 
Pour les Egyptiens, la déesse du ciel, Nout, avale le Soleil chaque soir pour le faire renaître chaque matin. 
Pour les Sumériens, le dieu Shamash ouvre chaque matin les portes du Levant. 




Mythologie grecque. Image : Helios le dieu Soleil sur son char et la course de Phaéton son fils imprudent, selon les métamorphoses d’Ovide, légende à lire sur http://classe.bilingue.free.fr
Mythologie nordique. Le char solaire de Trundholm, IIe millénaire avant notre ère. Image in Atlas du Monde Antique, 1992, édition France Loisirs.

Est-ce vraiment le même Soleil chaque jour ! Si oui, par où a-t-il pu passer ?…terrible question. 
Pour Homère, Hélios plonge tous les soirs dans l’Océan et c’est de lui qu’il émerge chaque matin.
Pour Héraclite d’Ephèse :

«Le feu solaire est descendu dans les régions souterraines, alourdi par l’eau de la mer qu’il a traversé, il a perdu la mémoire…En rencontrant le feu qui subsiste dans le séjour d’Hadès, il se régénère et permet ainsi au nouveau soleil de reparaître à l’horizon du levant ». 
Héraclite admet que le Soleil «est alourdi par l’eau de la mer» mais il n’explique pas comment il peut franchir le redoutable obstacle souterrain.
 
Pour Homère le Soleil longeait les rives du fleuve Océan. Plus d’obstacle souterrain, mais alors, si le Soleil se mettait à longer l’horizon, comment Homère expliquerait-il son changement brutal de trajectoire ?… aux conséquences insolites : un crépuscule léger nous envelopperait alors…sans jamais évoluer jusqu’à la nuit noire.

Et la Lune ! personne n’en parle. Tantôt elle nous nargue, la nuit, et tantôt, le jour, elle se faufile discrètement dans le ciel bleu. 
Alternativement : astre de la nuit et astre du jour. Son jeu de cache-cache avec le Soleil pouvait-il échapper à Thalès qui avait compris que les phases de la Lune ne peuvent s’expliquer qu’à deux conditions : si elle est éclairée par le Soleil, si elle est sphérique.

Sphérique, oui !… pas un disque. Prenons quelques secondes pour savourer cette découverte féconde : sphérique…bientôt on pourra généraliser à la Terre, au Soleil, aux planètes, aux étoiles.



Dans la Genèse, le premier jour, Dieu crée la lumière et la sépare des ténèbres. Il nomme la lumière jour et les ténèbres nuit... Le quatrième jour il met dans le ciel deux grands luminaires : le Soleil pour dominer sur le jour, la Lune pour dominer sur la nuit…

On pourrait suspecter une erreur chronologique car pour nous, en effet, l'alternance lumière/ténèbres (premier jour) dépend du soleil ( quatrième jour). Mais, comme nous l'avons vu, dans la mentalité des Grecs et Israélites, ce lien n'était pas encore établi; l'alternance lumière/ténèbres était causée par l'arrivée de vapeurs tantôt claires (le ciel bleu) tantôt sombres, à des heures décalées de celles des lever/couchers/ du soleil.

Sur cette mosaïque à Venise, la Lune, sur fond sombre, reste encore associée à la nuit. C’est une convenance et une facilité de représentation pour les artistes, peintres ou poètes, …mais on rencontre parfois des adultes qui n’ont jamais observé la Lune en plein jour. Dans une école maternelle, il m’est arrivé, un jour, de déboussoler des gamins, l’un pleura car sa maman lui avait dit que c’était «la nuit » que l’on voyait la Lune… pas le jour. Beaucoup d’adultes ne remarquent pas la lune dans la journée.


«Sais-tu où séjourne la lumière ? En quel lieu résident les ténèbres ?» 

Par un sémite dans le livre de Job. 

Le jour apparaît 1 à 2 heures avant le lever du Soleil et se maintient 1 à 2 heures encore après son coucher. Dans les civilisations primitives, la perception de l’alternance jour/nuit n’était pas, comme aujourd’hui, directement synchronisée à la position du Soleil;
 levé ou couché, au-dessus ou au-dessous de la ligne d’horizon. 



Pour les Grecs de l’époque hellénistique, le jour, des vapeurs claires montaient de la Terre, et la nuit, s’élevaient des vapeurs sombres. Après le coucher du Soleil il y a encore assez de lumière solaire diffusée par le ciel bleu pour poursuivre les activités domestiques, agricoles, et même les combats. 


Grâce à Hipparque on connaît la première définition du crépuscule donnée par Pythéas :
«par les nuits…sans lune…quand on voit au zénith les étoiles les plus faibles… le Soleil est alors abaissé sous l’horizon de 7/12 d’un signe du zodiaque».

A l’époque de Pythéas, et même d’Hipparque, on divisait le cercle en 12 signes du zodiaque de 30°chacun, soit 360°, donc 7/12 d’un signe du zodiaque font 17°5. Aujourd’hui on a pris la même définition et adopté le même résultat 18°. La mesure de cet angle du Soleil sous l’horizon est difficile, elle passe par une mesure du temps et par de la trigonométrie sphérique.

Un certain Parménide affirme avec audace : 

«seules les vapeurs claires ont une réalité… les vapeurs sombres, précise-t-il, n’ont pas de réalité»
«La nuit, 
dit-il, c’est l’absence de lumière».


La formule est amusante, mais ce n’était pas si évident.