Les cycles des éclipses : le Saros, 18 ans, l'exeligme, 54 ans




Phases d’une éclipse de Lune observée par Itahisa Gonzalez à l’Observatoire de Tenerife le 29/12/2010, apod.nasa.gov Cette éclipse de Lune, proche de l’horizon, est semblable à celle qui permit à Pythagore d’affirmer que la Terre ne pouvait pas être un cylindre comme le croyait alors Anaximandre, mais qu’elle était sphérique. Les éclipses ne peuvent se produire que tous les 5 ou 6 mois, quand la Lune revient dans le plan de l’écliptique, tous les 173 jours. Le plan de l’orbite lunaire qui oscille légèrement selon ce cycle est alors à son inclinaison maximum de 5°18’.

En ce qui concerne le cycle de retour des séquences d’éclipses avec le même état et qualités, Géminos de Rhodes, 1er siècle B.C., ne parle pas du saros chaldéen de 18 ans mais de l’éxéligme ou révolution de durée triple, 54 ans : «L’exéligme est la plus petite durée possible qui contienne un nombre entier de mois, de jours, de révolutions anomalistiques ». «L’observation astronomique montre que l’éxéligme comprend 669 mois entiers et 19.756 jours. Dans cet espace de temps, la lune fait 717 révolutions anomalistiques en longitude, parcourant dans le même temps 723 cercles zodiacaux plus 32°». « Tel est le calcul numérique par lequel les Chaldéens ont trouvé que le déplacement moyen de la lune valait 13° 10’ 35’’ » (Géminos XVIII, 1,3 et 9).

Deux siècles plus tard, dans sa Composition mathématique, Claude Ptolémée dans le même contexte «du mouvement inégal de la lune en longitude et en latitude» et «des temps inégaux à revenir traverser l’écliptique» rapporte «qu’en comparant des éclipses de lune les anciens  (les chaldéens) cherchèrent le nombre de jours qui restituerait cette inégalité et les périodes des autres mouvements». «Les plus anciens (les chaldéens) avaient estimé que ce temps était à peu près de 6.585 jours et 8 heures. Car en cet espace de temps ils voyaient s’achever environ 223 lunaisons, 239 restitutions d’anomalie, 242 retours à la même latitude (mois draconitique), 241 révolutions en longitude (mois sidéral), et en outre les 10°40 que le Soleil a parcourus en sus de ses 18 révolutions, dans le même temps, en rapportant leur rétablissement aux étoiles fixes. Ils appellèrent ce temps periodikon période comme ramenant à leur premier état ces différents mouvements ».(livre IV, p.215-6). Aujourd’hui on nomme cette «période» de 18 ans : saros du mot chaldéen sar qui veut dire révolution

Dans un deuxième temps Ptolémée signale qu’il existe une période triple du saros (il s’agit de l’exéligme de Géminos) et il reprend les valeurs chaldéennes déjà citées par Géminos en y ajoutant «726 retours à la même latitude» (mois draconitique) que Géminos avait sans doute oublié. 

Ptolémée (livreIV, ch.II, p.216) balaie alors saros et exéligme : «Mais Hipparque (190-120 B.C.) a déjà prouvé par des calculs faits d’après les observations des Chaldéens et les siennes, que ces nombres ne sont pas exacts. En effet, Hipparque démontre par les observations qu’il nous a déjà transmises, à ce sujet, que le moindre nombre de jours au bout duquel le temps des éclipses revient après un égal nombre de mois et dans des mouvements égaux, est de 126.007 jours et 1 heure équinoxiale. Il y trouve 4.267 mois complets, 4.573 retours d’anomalie, 4.612 révolutions dans le zodiaque moins 7°1/2 environ, dont il ne s’en faut que le soleil n’ait parcouru 345 circonférences entières relativement aux étoiles fixes» . Contrairement à ce qu’affirme ici Ptolémée, ces valeurs établies par Hipparque sur 345 ans ne remettent nullement en cause le saros et ne lui apportent aucune amélioration quant à la reproduction des éclipses. Il s’agit d’une correction infime, 3/100 000, de la période anomalistique (précieuse pour les calculs) ce que Ptolémée confirme d’ailleurs en page 217 : «Il est évident par là que l’anomalie se rétablit ainsi…conséquemment aux syzygies». Ptolémée revient alors à la condition essentielle des éclipses le retour de la Lune sur l’écliptique : «Mais ce temps ne donne pas le rétablissement parfait de la même latitude…» et de citer Hipparque : «l’intervalle entre deux éclipses extrêmes absolument semblables en grandeurs et en durées d’obscurcissement…s’achève en 5458 mois synodiques ou 5923 mois draconitiques». Ce cycle de 441 ans n’est pas non plus un quelconque saros amélioré il s’agit également d’un gain en précision, de 5 sur 1.000.000, sur la période draconitique.


Ptolémée Claude, 150, Composition mathématique, traduite du grec en français par l’abbé Nicolas Halma, 1813 et 1816, et suivie des notes de Jean-Baptiste Delambre.
Géminos de Rhodes, fl. 70-55 B.C., Introduction aux phénomènes, traduction et commentaires Germaine Aujac, édition Les Belles Lettres, 1975


Avec l’âge incongru qu’elle attribue à Mathusalem, (969 révolutions synodiques de la Lune font 78 ans), la bible, à la suite des Egyptiens et les Chaldéens, est tombée dans «cette évidente fausseté des dates» à laquelle les Grecs et les Romains n’ont pas échappée. Epigénès, nous dit Plinel’Ancien, fait remonter à 720 000 ans la première écriture cunéiforme « gravée sur des briques cuites». Diodore de Sicile fait remonter à 473.000 ans les premières observations astronomiques chaldéennes. Bérose, un greco-chaldéen, parle d’une révolution lunaire de 3.600 ans qu’il nomme saros qui veut dire révolution.

Dans son Histoire de l’Astronomie ancienne, l’astronome Jean-Sylvain Bailly(1) rapporte «la clef de cette chronologie extraordinaire. Deux moines égyptiens, Anianus et Panodorus, qui vivaient vers l’an 411, ont supposé que ces années n’étaient que des jours, le mot année ne signifie que révolution. Il est hors de doute que les anciens ont entendu par ce mot différentes espèces de révolution d’un mois ou même d’un jour ; il est assez naturel que les premiers astronomes qui ont amassé des observations aient compté par les jours mêmes de ces observations (comme aujourd’hui encore)».

«Les 720.000 années (jours) qu’Epigénès donnait aux observations conservées à Babylone donnent 1971 années juliennes et 3 mois environ, nombre qui approche des 1903 années que Callisthènes donnait justement à ces premières observations (2.234 ans avant notre ère, date où Bélus fit bâtir le temple de Jupiter). La différence même de l’un à l’autre qui n’est que de 68 ans vient très probablement de ce que le calcul de Callisthènes se terminait à la prise de Babylone par Alexandre, au lieu qu’Epigénès conduisait le sien jusquà son tems …la 28e année de Ptolémée Philadelphe ». Il en est de même de l’époque citée par Diodore de Sicile où les observations de la lune et des planètes des chaldéens commençèrent à se réitérer avec régularité : «En suppposant que ces 473.000 années soient des jours, elles se réduisent à 1295 ans et elles remontent à l’an 1616 avant J.C.».


(1) Bailly Jean-Sylvain, 1781, Histoire de l’Astronomie ancienne book.google.fr, livre 5, § XVII à XLV, pages 365 à 395.

Les 70 tablettes de l’Enuma Anu Enlil rapportent des événements astronomiques et des présages royaux qui remontent à 2000 avant notre ère. Ici sur les tablettes 20 et 21 conservées au British museum on découvre des dessins de Vénus, l’astronome Irassilu, et des tables de la Lune.
Au roi mon maître, j'ai écrit… …
une éclipse de Lune aura lieu le 14 Addaru…
… malheur aux pays d'Elam et de Syrie…
… maintenant elle a eu lieu en effet,
c'est un signe de paix pour le roi mon maître.
Irassilu l'ancien, serviteur du roi.  

Tablette 21 de l’Enuma Anu Enlil…Anou et Enlil sont les seigneurs du Ciel et de la Terre… cette tablette précise que l’éclipse de Lune aura lieu : «le 14 Addaru dans la direction du Sud à la première heure de la nuit» et donne la visibilité de Vénus : un élément important qui permet aujourd’hui de différencier cette éclipse-là d’une autre éclipse de même type qui aurait pu la précéder ou la suivre. 

Lors du congrès international d’archéo-astronomie de 1998, Vahé Gurzadyan(2) astrophysicien de Byurakan, a démontré que cette éclipse de Lune eut lieu le 16 mars 1912 avant notre ère. Cette éclipse a été corrélée avec la destruction d’Our et la fin de la dernière dynastie des rois d’Our - la patrie et l’époque d’Abraham - elle permet de redater la première dynastie des rois de Baylone à 1798 avant notre ère avec Hammourabi, ce qui enchaîne le réajustement de la chute de Baylone à 1499. Une autre éclipse de Lune, en 1954 avant notre ère, a été corrélée à la mort de Sulgi, dernier roi de Sumer. 


(2) Gasche H., Armstrong J.A.,Cole S.W.,Gurzadyan V.G.,1998, Dating the fall of Babylon, in Mesopotamian History and environment, séries II, memoirs IV, published by the University of Ghent and the Oriental Institute of the University of Chicago.


Image Tables de la Lune in Histoire Universelle, Tome 2, l'Egypte et le Moyen Orient sous l'Antiquité 2006 Ed Hachette


C’est avec un certain succès que les premiers astrologues chaldéens furent en mesure d’annoncer, avant chaque Pleine Lune, si une éclipse était possible ou si elle ne l’était pas. Ces prédictions d’éclipses de Lune de ces mages et grands prêtres étaient assez heureuses pour qu’ils acquièrent notoriété auprès des princes et permettre à cette caste de savants de hisser la science de l’astronomie à un niveau inattendu pour leur époque.

Les Assyriens avaient la chance d’avoir un calendrier lunaire : chaque mois débutait le jour de la Nouvelle Lune, les mois de 29 jours et de 30 jours alternaient, avec des correctifs de calendrier pour converger vers 29,53 jours au final. Ils savaient que les éclipses de Lune avaient lieu à la Pleine Lune, quand elle passe dans l’ombre de la Terre, c’est à dire les 14 ou 15 de chaque mois.

Comme le montre le graphique ils savaient que la Lune tourne dans un plan incliné de 5° par rapport à l’écliptique et qu’elle passera tantôt au-dessus, tantôt au-dessous du Soleil. Ils connaissaient les précieuses saisons d’éclipses le moment où la Lune revient dans l’écliptique, lieu des éclipses, tous les 6 mois en général et parfois tous les 5 mois.

Après des siècles d’observation, les chaldéens avaient établi l’enchaînement de ces saisons d’éclipses de 6 lunaisons chacune grosso modo au cours d’un saros de 223 lunaisons.

Les récentes tablettes chaldéennes analysées par Aaboe(2) et al. donnent l’équation de Diophante du saros :

6s+5f = 3,43 (en sexagésimal) = (3X60) +43 soit 223 lunaisons
33 saisons de 6 lunaisons + 5 saisons de 5 lunaisons= 223 lunaisons 


(2)  Aaoboe-Henderson-Neugebauer-Sachs, 1975, Some Atypical Astronomical Cuneiform Texts III.

Aujourd’hui on distingue les éclipses par l’ombre, soit totales (14) soit partielles (14), et les éclipses par la pénombre (14) soit 42 éclipses de Lune en 18 ans et 10 jours. Les éclipses de pénombre sont difficiles à observer avec certitude et souvent on les exclut aujourd’hui de la statistique. Bigourdan signale quelques éclipses de pénombre observées dans l’Antiquité, ce qui expliquerait pourquoi Kidinnu (IVe siècle B.C.) retenait la possibilité d’éclipse jusqu’à 20°18’ du nœud alors qu’on ne retient aujourd’hui que 12°03’.

Le graphique ci joint n’est pas le déroulement d’une éclipse de Lune heure par heure, c’est une suite d’éclipses de Lune qui se succèdent à chaque saison d’éclipse (6 lunaisons grosso modo ; 5,87 en moyenne théorique). Les Chaldéens qui notaient l’amplitude et la position de la zone éclipsée ne pouvaient ignorer que les éclipses de Lune s’enchaînaient par suites croissantes-décroissantes : par exemple, ici, 2 éclipses partielles croissantes la 1ère année, de 2 éclipses totales proches du nœud la 2e année, et à nouveau 2 éclipses partielles, décroissantes, la 3e année. Une séquence progressive qui permet d’anticiper la qualité de l’éclipse suivante. Après chacune de ces suites d’éclipses on a une période intercalaire de 17 lunaisons sans éclipse, en fait il s’agit alors d’éclipses de pénombre qui se produisent à plus de 12° du nœud.



Voici le tableau d’un saros : 18 ans donc 18 lignes. Il y a pour chaque ligne 2 saisons d’éclipses (2 fois 173 jours) plus un reliquat de 19 jours du au décalage des Pleines Lunes d’où ces lignes en diagonales. La 19e ligne reproduit la 1ère, elle débute le saros suivant.

Dans un saros de 223 lunaisons, il y a 5 suites d’éclipses de Lune, elles sont reportées en 5 couleurs différentes. Chaque année, chaque ligne, 2 éclipses de Lune sont possibles ; elles se décalent progressivement dans le calendrier et dans le zodiaque. Les diagonales marquent les dates où la Lune revient au nœud, dans le plan de l’écliptique. On peut voir :

  •  sur la 1ère ligne : 2 éclipses partielles qui se produisent à gauche du noeud, 
  •  sur la 2ème ligne : 2 éclipses totales, qui se produisent quasiment au nœud,
  •  sur la 3èmeligne : 2 éclipses partielles, qui se produisent à droite du nœud.

Le scénario diffère légèrement pour chacune des 5 suites :

  •  la 1ère suite, en rouge, contient 6 éclipses : 2 partielles, 2 totales, 2 partielles.
  •  la 2ème suite, en vert, 5 éclipses : 1 partielle, 3 totales, 1 partielle.
  •  la 3ème suite, en orange, 6 éclipses : 2 partielles, 2 totales, 2 partielles.
  •  la 4ème suite, en bleu, 6 éclipses : 2 partielles, 3 totales, 1 partielle.
  •  la 5ème suite, en magenta, 5 éclipses : 1 partielle, 3 totales, 1 partielle.

Voici maintenant les 5 périodes intercalaires sans éclipses de Lune bien visibles, (uniquement des éclipses de pénombre). On voit que ces 5 périodes intercalaires marquées par 5 couleurs différentes sont de 17 lunaisons. Pourquoi 17, qui n’est pas un multiple de 6 ? Parce que les saisons à 5 lunaisons s’intercalent dans ces périodes intercalaires. Tantôt, comme pour la 2e période en jaune et la 4e en vert, on a 2 éclipses de pénombre à 5 lunaisons d’intervalle. Tantôt on a des rythmes 5+1+5 avec, ici encerclées de rouge, 3 éclipses ternaires en moins de 30 jours : une forte éclipse de Soleil, annulaire ou totale, centrée sur le nœud, encadrée par 2 éclipses faibles de Lune, par la pénombre, au nœud opposé.

Les chaldéens pouvaient dès lors prédire les éclipses de Lune avec une probabilité proche de 90% mais ils ne le furent jamais en mesure pour les éclipses de Soleil très sensibles à l’effet de parallaxe un phénomène ignoré des chaldéens qui ne sera découvert que plus tard par Hipparque.



Dans un saros on compte en moyenne 42 éclipses de Lune et 28 éclipses centrales de Soleil (visibles en une zone terrestre). On voit dans ce tableau établi par André Danjon* que les éclipses de Soleil sont concentrées dans les périodes intercalaires de 17 lunaisons sans éclipses de Lune.

Les éclipses de Soleil s’enchaînent et se succèdent dans ces 5 périodes intercalaires, marquées par 5 couleurs différentes. A trois reprises, à l’intérieur des ellipses en rouge, on a des éclipses ternaires : une forte éclipse de Soleil, annulaire ou totale, centrée sur le nœud, encadrée par 2 éclipses faibles de Lune, par la pénombre, au nœud opposé. Notons que dans ces 3 cas une éclipse de lune par la pénombre peut annoncer, du moins laisser soupçonner, 14 jours plus tard, une éclipse de soleil.

Mais les chaldéens pouvaient-ils rassembler ces éléments concernant les éclipses de Soleil, tels que nous venons de les examiner dans un saros-type établi au XXe siècle ? Non, impossible, car la connaissance d’un saros complet des éclipses de Soleil exige des observateurs répartis sur l’ensemble de la planète. Pouvaient-ils en avoir quelques bribes ? Pouvaient-ils avoir décelé une certaine complémentarité entre les éclipses de Soleil et les éclipses de Lune qu’ils prédisaient fort bien ?

Cette année, en 2013, les média ont relayé un bel exemple d’éclipse ternaire…qui fut visible en Australie.


(3) Danjon André, 1952, Astronomie générale, astronomie sphérique et éléments de mécanique céleste, édition J.&R. Sennac.

Derrière le buste de Thalès une éclipse de Soleil. Les éclipses centrales sont dites totales si la Lune est au plus proche, à son périgée, et sont dites annulaires si la Lune est au plus éloignée, à son apogée.

Dans Clio, Hérodote rapporte que «pendant une bataille entre les Mèdes et les Lydiens, il advint que le jour se transforma en nuit. Cette défaillance du jour avait été prédite aux Ioniens par Thalès de Milet, qui en avait fixé l’époque dans les limites de l’année où effectivement elle eut lieu».

Cette éclipse de Soleil prédite par Thalès eut lieu en 585 avant notre ère, selon Pline. Cette date, mise en balance avec une éclipse précédente de 610 par Arago puis avec une autre éclipse de 602 calculée par Lord Airy, ne fait plus aucun doute aujourd’hui.

Thalès eut beaucoup de chances dans cette prédiction mais lors de son voyage auprès des chaldéens il avait du récolter des connaissances sur les éclipses acquises depuis des siècles. Les périodes synodiques anomalistiques, sidérales et draconitiques oui, sans doute, ces phénomènes étaient déjà connus des chaldéens, Ptolémée leur attibue particulièrement «la découverte de l’inégalité de la Lune et du mouvement de son nœud». Les 3 cycles constitutifs du saros l’étaient également : les saisons des éclipses (à 6 lunaisons parfois 5) excluant d’office un grand nombre possibilités d’éclipses, les 5 suites d’éclipses de lune à 6 lunaisons, pauvres en éclipses de Soleil et donc éliminant d’autres possibilités, et les 5 périodes intercalaires à 17 lunaisons où se concentraient les possibilités d’éclipses de Soleil. Cet ensemble d’indices suffisait à prévoir les éclipses de Lune avec assez d’assurance mais demeurait notoirement insuffisant pour prévoir une éclipse de Soleil à mieux que pile ou face. La chance aura fait le reste.



La description des éclipses anciennes de soleil et de lune, leur lieu de visibilité, leur date, heure et position dans le ciel, éclipse totale ou partielle, est précieuse pour les historiens qui cherchent à dater les évènements historiques et pour les astronomes qui sont à l’affût d’observations très anciennes pour discerner les lents mouvements séculaires des astres.

Eclipse d’Assurbanipal. Parmi les éclipses historiques citons, avec Paul Couderc*, celle du règne d’Assurbanipal, le fondateur de l’astronomie chaldéenne : «Dans le mois de Tammuz, il y eut une éclipse de Soleil. Le Soleil couchant cessa de luire et, comme lui, je renonçai pendant quelques jours à commencer la guerre contre Elam». Le long règne d Assurbanipal commença en -667 et la guerre contre le peuple d’Elam eut lieu en début de règne, la seule éclipse de Soleil qui convienne au récit est celle du 27 juin de l’an 660 avant notre ère, visible le soir à Ninive.

Eclipse de Thucydide prédite par Anaxagore. L’historien Thucydide, 460-400, rapporte «Pendant le même été, 430 B.C., au début du mois lunaire, le soleil fut éclipsé après midi. Il s’amenuisa en forme de croissant, puis redevint circulaire. Pendant l’éclipse quelques étoiles devinrent visibles». Elle eut lieu le 3 août précisément et fut totale à Athènes, en effet. Dans sa préface à l’Almageste de Ptolémée*, Nicolas Halma rappelle qu’ «Anaxagore, 500-428 B.C., avait prédit cette éclipse de Soleil qui arriva dans la première année de la guerre du Péloponnèse». A l’époque d’Anaxagore, deux siècles après Thalès, l’établissement du saros chaldéen était quasiment bouclé en ce qui concerne les éclipses de Lune mais fort incomplet pour les éclipses de soleil qui ne se renouvellent à l’identique que sur un triple saros de 54 ans et 30 jours et aurait nécessité le recensement de toutes les éclipses de Soleil dans la zone tropicale. Anaxagore eut aussi sa part de chance.

Eclipse d’Agathocle. Diodore de Sicile rapporte qu’en -309, Agathocle, tyran de Syracuse, et ses troupes, faisant cap vers la Côtes d’Afrique, observa une éclipse de Soleil : «Le jour qui suivit le départ, il y eut une éclipse telle que le jour se changea en nuit et que les étoiles brillèrent au ciel». L’éclipse était donc totale puisqu’on put y voir les étoiles, et une éclipse totale de Soleil veut dire une éclipse visible dans une bande restreinte de territoire, et aujourd’hui localisable. Nul doute ce fut l’éclipse du 15 août 309 B.C., visible au sud de la Méditerranée, la flotte d’Agathocle étant en mer, on peut même préciser l’heure de cette éclipse.

Eclipse de Lune de Babylone, 719 avant notre ère. Dans ses Eléments d’astronomie, Dominique Cassini* cite trois éclipses de Lune observées à Babylone par les chaldéens, parmi les plus anciennes mais déjà suffisamment détaillées pour servir à mesurer les périodes lunaires. Ptolémée* les utilisa pour calculer la durée du mois draconitique et Cassini* pour mesurer la précession du plan de l’orbite lunaire. Cassini compara «l’éclipse chaldéenne du 1er septembre 719 B.C. dont le vrai lieu du nœud ascendant était à 22°52’ du Lion» avec celle qu’il venait d’observer «le 9 septembre 1718, dont le nœud ascendant était désormais à 16°40’ de la Vierge» d’où il conclut que le plan de l’orbite lunaire avait effectué «130 tours et 336°12’» en «2437 ans 19 jours 2 heures 16 minutes (dont 608 années bissextiles)». Cassini conclut de ces mesures chaldéennes que le plan de l’orbite lunaire précesse de 1 tour en 18,612ans (6798 jours et 7 heures).


Ptolémée Claude, 150, Composition mathématique, traduite du grec en français par l’abbé Nicolas Halma. 1813. A lire in préface viij.
Couderc Paul, 1961, Les Eclipses, édition « Que sais-je ? » n°940, Presses Universitaires de France. pp. 103-112 Les éclipses dans l’Antiquité, éclipses historiques et rotation de la terre.
Cassini Dominique, Eléments d’astronomie

Aujourd’hui, en tenant compte du « ralentissement de la Terre » établi par les calculs de l’Institut de Mécanique Céleste, Patrick Rocher a pu confirmer la date rapportée par Pline… une éclipse totale de Soleil fut visible au Nord de la Grèce et en Anatolie, le 24 mai 584 avant notre ère.

En 1749, Dunthorne, un astronome anglais qui recalculait une dizaine d’éclipses anciennes décrites et déjà calculées par Ptolémée conclut que la Lune devait accélérer de 20’’d’arc par siècle. En 1866, Charles Delaunay émis l’hypothèse qu’il s’agissait plutôt d’un ralentissement de la Terre sous l’effet des marées, par suite du frottement des mers sur les fonds océaniques. Ce ralentissement de la rotation terrestre fut mis en évidence par Spencer Jones au début du 20e siècle, on le calcule grâce aux éclipses anciennes. L’effet réciproque et l’accélération séculaire de la Lune se calcule depuis 1960 à partir de la distance Terre-Lune mesurée par écho-laser.



Ici il s’agit d’une autre éclipse totale de Soleil, du 15 avril 136 avant notre ère ; Elle fut observée en détails par les Babyloniens et bien commentée par Ptolémée.

Dans l’hypothèse où on garderait un temps universel constant au cours des siècles, c’est sur la bande située à gauche, du Maroc à la Finlande que l’éclipse totale de Soleil de l’année -136 aurait été visible.

Les calculs modernes de Patrick Rocher adoptent un ralentissement de la Terre de 16 millième de seconde par jour, soit au total 3 heures et 14 minutes depuis cette éclipse ancienne. Ainsi, la bande d’obscurité totale, à droite, passait bien par Babylone.

Géminos (4) , 1er siècle avant notre ère, résume sobrement les connaissances courantes des anciens : «Les éclipses de Soleil se présentent sous un angle différent suivant les lieux géographiques… Ici le Soleil s’éclipse tout à fait, ailleurs à moitié, ailleurs bien moins qu’à moitié, ailleurs encore on ne voit rien… pas même le plus petit début d’éclipse».

Les éclipses de Soleil sont aussi nombreuses que les éclipses de Lune, toutes les 6 lunaisons également mais décalées de 14 jours… à la nouvelle Lune qui précède…ou à celle qui suit. Malheureusement une éclipse totale de Soleil n’est visible que sur une étroite bande centrale d’environ 250 km, on observe encore cette éclipse, alors partielle dans une bande élargie à 7500 km environ, 30 fois plus.

En un lieu donné, il y a, en moyenne, une éclipse partielle de Soleil tous les 2 ans 1/2 et une éclipse totale de Soleil tous les 75 ans.


(4) Géminos de Rhodes, fl. 70-55 B.C., Introduction aux phénomènes, traduction et commentaires Germaine Aujac, édition Les Belles Lettres, 1975.



Guillaume Le Gentil de la Galaisière, astronome malchanceux lors de ses deux expéditions scientifiques en Inde pour observer le passage de Vénus sur le Soleil, a montré les imperfections du cycle empirique du saros qui se dérègle au cours des siècles. Dans son Histoire de l’Astronomie ancienne, Jean-Sylvain Bailly* rapporte «M. le Gentil a remarqué qu’une éclipse totale de Lune observée par Tycho, le 31 janvier 1580, avait été plus petite à chacun de ses retours de 18 ans en 18 ans de sorte que l’éclipse correspondante du 30 mai 1760 n’a été que d’un demi-doigt, et que la pleine lune du 10 Juin 1778 ne sera point écliptique : ainsi au bout de 200 ans les éclipses ne reviennent plus suivant l’ordre de la période de 18 ans ou 223 mois. Mais ce défaut n’empêchait pas que les anciens ne pussent s’en servir à la prédiction des éclipses, parce qu’ils n’employaient pas des intervalles si longs, et qu’ils se contentaient sans doute d’annoncer une éclipse sans en indiquer précisément la grandeur».

Neugebauer*, 1975, rapporte «La signification de la colonne Phi dans les éphémérides lunaires resta un mystère complet jusqu’à la découverte de tablettes explicatives, BM 36705 et 36725, par Sachs en 1957». Aaboe* et Henderson pour leur part démontrent formellement que la relation de base reliant les 4 cycles (mois) lunaires dans un saros de 18 ans et 10 jours, était connue des chaldéens :

223 mois synodiques = 242 mois draconitiques = 239 mois anomalistiques = 241 mois sidéraux

En raison de l’anomalie lunaire, inégalité de vitesses, le mois synodique est une moyenne : 29,5 jours +/- 7 heures. Entre le début d’un saros, et le début du saros suivant il reste un petit arc synodique résiduel à parcourir, on peut aussi dire que la lune débute un saros avec une certaine vitesse l’achève à une autre vitesse. Les chaldéens, avec souci du détail, établirent un tableau des petites corrections qu’il convenait d’appliquer à la durée d’un saros : quelques heures d’un saros à l’autre, quelques jours sur une plus longue période. Près de deux millénaires avant Le Gentil les astronomes chaldéens aient saisi les petites irrégularités des Saros, un outil pragmatique aux performances heureuses vu la complexité du mouvement de la Lune.


Aaboe A. and Henderson J., 1975, The Babylonian Theory of Lunar Latitude and Eclipses according to System A. Archives internationales d’histoire des sciences.
Bailly Jean-Sylvain, 1781, Histoire de l’Astronomie ancienne book.google.fr, livre 5, § XVII à XLV, pages 365 à 395.
Neugebauer Otto, 1975, A History of Ancient mathematical Astronomy, 1975, vol. 1, pages 497 à 513, édition Springer-Verlag.

Tablettes en écriture cunéiforme découvertes à Borsippa, proche de Babylone, par Pinches et Schnabel en 1925 et publiées par Sachs* et Walker 1984. Les différents auteurs et assyriologues qui ont étudié les quatre variantes de cet almanach babylonien concernant l’année 7/6 B.C., sous le prétexte qu’il ne mentionnait aucune conjonction de planètes, éliminèrent trop vite l’option de Képler, célèbre calcul d’une Triple Conjonction de Jupiter et de Saturne suivie d’une Grande Conjonction de Mars, Jupiter et Saturne. L’auteur, Yvon Georgelin* a montré qu’il n’en est rien: cet almanach de grande qualité avait bien prévu la conjonction de planètes que Képler reconnut comme l’ étoile de Bethléem mais aussi une éclipse de Soleil qui eut réellement lieu.

Cet almanach avait prévu «une éclipse de Lune le 13 avril 7 B.C.» 5 mois après l’éclipse précédente, et 16 jours plus tard, «le 29 avril 7 B.C. une éclipse de Soleil». Hélas, il s’en fallut de très peu car cette éclipse partielle de Soleil eut lieu 1 heure seulement après le coucher du Soleil, à Babylone. comme on peut le voir sur cette image extraite du merveilleux logiciel astronomique www.stellarium.org


Sachs A.J. et Walker C.B.F., 1984, Kepler’s View of the Star of Bethlehem and the Babylonian Almanac for 7/6 B.C., Iraq. vol.46, n°1 (Spring 1984) pp.43-55, British Institute for the Study of Iraq, JSTOR archive, http://www.jstor.org/.
Georgelin Yvon, 2015, Etoile des Mages et astronomie chaldéenne, site astronomiechaldeenne.free.fr
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