Les mouvements et périodes de Mars, Jupiter, Saturne



Marduk, Jupiter, était le dieu de Babylone. Cette planète éclatante, assez régulière, à l’observation aisée et dont on pouvait suivre 2 à 3 orbites au cours d’une vie, fut l’enfant chérie des astronomes babyloniens qui l’observèrent sans discontinuité pendant des siècles et, par chance, leurs tablettes-éphémérides, aujourd’hui au British Museum, sont parvenues jusqu’à nous.
A l’époque de Platon, l’astronome babylonien Kidinnu savait qu’ «en 427ans, Jupiter parcourt 36 fois le zodiaque, après 391 conjonctions synodiques avec le Soleil», soit une période sidérale de 11,861ans avec seulement 1 jour d’écart par rapport aux valeurs modernes. Ils avaient également compté que «Saturne parcourt 9 fois le zodiaque en 265ans après 256 conjonctions synodiques avec le Soleil», soit une période sidérale de 29,244ans avec 5 jours d’erreur seulement. Une précision inouïe de 1 sur 80 000 qui leur aurait permis de discerner les perturbations de Saturne sur Jupiter selon les travaux de Kugler* 1907 cités par Bigourdan* 1913.
Pour les grecs, les deux planètes aux longues périodes Jupiter, 12 ans, et Saturne, 30 ans, étaient des chrono dateurs marquant le Temps. Dans la mythologie grecque Chronos était le dieu du Temps, ils dédièrent ce nom de Chronos à la planète la plus lente que les Romains rebaptisèrent Saturne. Pour les Anciens, les Conjonctions de Jupiter et de Saturne et surtout les Triples Conjonctions, 9 fois plus rares, tous les 180 ans en moyenne étaient un signe du ciel. Le rythme irrégulier des Triples Conjonctions aussi bien 2x20ans ou 4x20ans,…que 15x20ans, 17x20ans ou même 19x20ans. A l’époque babylonienne il s’écoula 380ans sans Triple Conjonction de Jupiter et de Saturne. Le spectacle est lent, 8 mois, son issue incertaine : les planètes naviguent alors de conserve, se rapprochent à 3 reprises lorsque Jupiter exécute ses 3 dépassements d’abordage, un ballet synchronisé, mieux le jeu du chat, Jupiter, et de la souris, Saturne.

Kugler Franz Xavier, S. J., 1900, Die babylonische Mondrechnung, Freiburg, et 1907, Sternekundeund und Sterndienst in Babel, Munster, Aschendorff. Franz Kugler, S.J., professeur d’astronomie à l‘Ignatius College en Hollande fut le grand découvreur de l’astronomie chaldéenne, ses travaux furent connus et cités, dès 1911, en France.
Bigourdan Guillaume, 1911, L’astronomie, Evolution des Idées et des Méthodes, édition Ernest Flammarion.

En gardant la Terre au centre, Aristote pouvait-il expliquer le mouvement apparent des planètes vues de la Terre ?



«Cette photographie a été prise au planétarium de Munich, où l’on simule les mouvements des planètes sur une période de dix-sept ans. On y voit les boucles apparentes des orbites de Mars, Vénus et Mercure, ainsi que les rétrogradations de Jupiter et Saturne». A lire dans un beau livre pédagogique de Fred Hoyle*.

«La complexité de cet écheveau» sera difficile à expliquer tant que l’on n’aura pas admis le mouvement de la Terre autour du Soleil ; c’est ce mouvement annuel de la Terre qui provoque ces boucles «apparentes» que Mars Jupiter et Saturne effectuent chaque année.

Le schéma en surimpression montre le mouvement apparent d’une planète vue de la Terre.


Fred Hoyle, 1962, L’Astronomie, version française sous la direction de Colin Ronan aux éditions du Pont Royal, page 75.

Dans son cours général, Jupiter, comme les autres planètes, prend du retard par rapport aux étoiles ici 1, 2, 3, 4, 5 de Janvier à Mai pendant 4 mois.

En 5, première station, et retour en sens inverse, pendant 4 mois, de 5 à 9, Jupiter rétrograde rattrapant son retard sur les étoiles.

En 9, septembre, deuxième station, Jupiter reprend alors sa route primitive, 9, 10, 11, 12, 13 se laissant glisser le long du zodiaque pendant 4mois, jusqu’au 1er janvier de l’année suivante, après s’être ainsi décalé d’un signe du zodiaque par an.



En couleur rouge, ce qui se passe réellement : la Terre fait 1 tour autour du Soleil, et Jupiter parcourt sagement un arc de son orbite, en moyenne un signe du zodiaque par an.

En couleur turquoise, le mouvement apparent de Jupiter tel qu’il nous apparaît de la Terre, qui ici, de 1 à 9, parcourt effectue presque un tour tandis que Jupiter, de 1 à 9, parcourt presque 30° (un signe du zodiaque).


En décembre 1603, Képler venait d’observer une Grande Conjonction de Mars, Jupiter et Saturne dans la constellation du Sagittaire un événement rare, ce qui l’incita à s’intéresser aux Grandes Conjonctions de l’Antiquité. Képler calcula qu’une Grande Conjonction de ces 3 planètes s’était produite en février 6 B.C., et, deuxième curiosité, Képler montra qu’elle avait été précédée, en juin, août et décembre de 7 B.C., d’une Triple Conjonction de Jupiter et de Saturne. Cet ensemble de conjonctions est rare, d’autant plus qu’ils se déroulèrent au voisinage du point d’équinoxe, et la Grande Conjonction s’achève à la Nouvelle Lune qui précède la date de l’équinoxe, l’on vit alors les sept astres errants descendre se coucher plein-ouest alors que d’ordinaire leurs couchers se dispersent du sud-ouest au nord-ouest.

Dans le Journal of the Royal Astronomical Society of Canada, l’astrophysicien Burke-Gaffney* nous apprend qu’«En 1605, pour des raisons de famille, d’héritage, Képler s’était rendu à Gratz en Styrie germanique où, par hasard, il prit connaissance de la thèse d’un théologien polonais, Laurent Suslyga*, sur la date de la Nativité». Képler* calcule alors la date de l’éclipse de Lune qui eut lieu à la mort d’Hérode et dans un article historique de qualité exceptionnelle publié en latin en 1614 (quasiment inconnu, jamais traduit ni en anglais ni en français) il apporte tous les arguments en faveur d’un Nativité en 7/6 B.C., certains ignorés, même des meilleurs spécialistes des XIXe et XXe. C’est du grand Képler, deux arguments en exemple :

  • Képler est le premier à citer l’inscription romaine du temple-mosquée d’Ancyre (Ankara) découverte en 1555 par Ghislain de Busbecq, qui donne la date du grand recensement d’Auguste, 8 B.C., celui où il ferme les portes du temple de Janus et décrète la paix romaine. Tacite et Suétone avaient mentionné ce grand recensement décrété par «Auguste seul» et non par deux consuls selon l’usage des deux autres recensements, mais ils n’avaient donné ni leur date ni le nombre de citoyens, une information perdue depuis la chute de l’Empire romain, à l’exception de la brève citation de l’évangile de Luc.
    Képler, 1614, a aussi retrouvé mention de ce recensement d’Auguste dans les Antiquités Judaïques de Flavius Josèphe* «En fait alors que tout le peuple Juif avait confirmé par des serments son dévouement envers l’empereur Auguste et le gouvernement royal d’Hérode, des pharisiens, au nombre de plus de 6 000 avaient refusé de jurer». Flavius Josèphe n’en donne pas la date mais Képler situe ce passage en 7 B.C., à la fin des longues pages consacrées au mandat de Saturninus légat d’Auguste. Plus de détails sur ce texte de Képler dans astronomiechaldeenne.free.fr

Burke-Gaffney W., S. J., 1937, Kepler and the star of Bethlehem, Journal of the Royal Astronomical Society of Canada, 1937, Vol. 31, pp. 417-425. Provided by the NASA Astrophysics Data System.
Kepler Joannès, 1606, De Jesu Christi servatoris nostri vero anno natalitio, consideratio novissimae sententiae Laurentii Suslygae… In officina Typographica Wolfgangi Richteri, Francofurti 



Sachs A.J. and Walker C.B.F., 1984, British Institute for the Study of Iraq, JSTOR Archive

Tablette chaldéenne en écriture cunéiforme du site de Borsippa à Babylone pour l’an 305 de l’ère des Séleucides. Ces éphémérides astronomiques prévisionnelles pour l’année à venir 7/6B.C. (13 mois lunaires incluant l’équinoxe de printemps de l’année 7B.C. et celui de 6B.C.) publiées en 1984 par A. J. Sachs* et C.B.F. Walker, sous le titre Kepler’s View of the Star of Bethlehem and the Babylonian Almanac for 7/6 B.C., avec le British Institute for the Study of Iraq, archives JSTOR.


Sachs A.J. and Walker C.B.F., 1984, Kepler’s View of the Star of Bethlehem and the Babylonian Almanac for 7/6 B.C., Iraq. vol.46, n°1 (Spring 1984) pp.43-55, British Institute for the Study of Iraq, JSTOR archive, http://www.jstor.org.

Sur cet Atlas coeli d’Antonin Becvar, nous avons reporté les cinq dates «clés» du mouvement de Jupiter et de Saturne positionnées selon le calendrier d’entrée des planètes dans les signes des Poissons et du Bélier. Ces dates et positions sont extraites des tablettes chaldéennes déchiffrées par Sachs et Walker, nous les avons cadré sur cette carte du ciel sur la base des amplitudes de rétrogradation de Jupiter, 10 degrés, et de Saturne, 7 degrés, que les Babyloniens connaissaient depuis des siècles.

  • Aux points gamma, première visibilité de Jupiter le [24] mars B.C. première visibilité de Saturne le 3 avril 7 B.C.
    Aux points phi : première station de Jupiter le 19 juillet 7 B.C. première station de Saturne le 26 juillet 7 B.C.
    Aux points théta : opposition de Jupiter le 15 septembre7 B.C. opposition de Saturne le 15 septembre7 B.C
    Aux points psi : deuxième station de Jupiter le 11 novembre 7 B.C. deuxième station de Saturne le 13 novembre 7 B.C.
    Aux points oméga : dernière visibilité de Jupiter le 21 mars 6 B.C. dernière visibilité de Saturne le 27 février 6 B.C. 



Cette image est extraite de www.stellarium.org un site astronomique extraordinaire qui permet de visualiser le ciel étoilé à toutes les époques, tel qu’il était 99 999 ans avant notre ère ou sera en l’an 100 000 de notre ère, et ceci pour tous les points de la Terre, dates et lieux d’observation que l’on choisit à volonté. Un site gratuit que l’on peut télécharger. Un site plein de ressources, on peut faire apparaître les lignes de coordonnées équatoriales, la ligne d’horizon (de couleur verte) l’équateur (ligne rouge) et surtout l’écliptique (ligne bleu) si précieuse pour ceux qui s’intéressent à l’astronomie babylonienne et grecque essentiellement consacrée aux planètes ; on peut même visualiser leurs élongations et boucles de rétrogradation. La cartouche, en haut à gauche, donne tous les paramètres instantanés de l’astre que l’on a cliqué.

Cette image montre que le 15 sept. 7 B.C., Jupiter et Saturne étaient effectivement «en opposition» au Soleil ; cette date est gravée en écriture cunéiforme sur les quatre exemplaires des éphémérides babyloniennes déchiffrées par Sachs* et Walker, éphémérides qui prévoyaient les évènements astronomiques pour l’année à venir 7/6 B.C. Une Triple Conjonction très rare car ce deuxième rapprochement de Jupiter et de Saturne a lieu le jour même de leur opposition au Soleil. C’est donc un alignement de 4 «astres errants» Soleil-Terre-Jupiter-Saturne et non de trois planètes Terre-Jupiter-Saturne.

La terminologie astronomique internationale correspondant à cette situation est acronychal rising. Comment le Littré et le Robert ont-ils pu introduire dans la langue française ce mauvais anglicisme «acronyque», qui fait songer à «anachronique» et à «kronos» le Temps. L’origine est le mot grec akronuctos de akros, extrême et nux, nuctos, la nuit. On peut traduire lever acronocturne, lever acronuctal, ou simplement "Lever à l’extrême nuit" ou "lever crépusculaire", puisqu’il s’agit du lever ou du coucher d’une planète au moment où le Soleil se couche ou se lève. La planète est alors en opposition avec le Soleil.


Sachs A.J. and Walker C.B.F., 1984, Kepler’s View of the Star of Bethlehem and the Babylonian Almanac for 7/6 B.C., Iraq. vol.46, n°1 (Spring 1984) pp.43-55, British Institute for the Study of Iraq, JSTOR archive, http://www.jstor.org/.

Voici, avec stellarium.com, quelle était la situation le 22 février de 6 B.C. , lors de la Grande Conjonction de Mars, Jupiter et Saturne. On peut voir Jupiter exactement au point d’équinoxe. Vénus et Mercure, déjà couchés, seront visible à l’aube dans d’excellentes conditions car Mercure, si difficile à observer, sera alors à son élongation maximum, au plus loin du Soleil. Ce jour-là les «sept astres errants» descendent à la verticale et viennent se coucher plein-Ouest au lieu de s’échelonner du sud-ouest au nord-ouest ou du nord-ouest au sud-ouest comme les autres nuits.

Etonnement ! Ce phénomène a été vu dans l’Antiquité et nous est rapporté par Ignace d’Antioche* à la fin du premier siècle de notre ère qui le lie à la Nativité : «Cet astre [Jupiter] jetait un éclat qui surpassait celui de tous les autres astres [les étoiles]. Le soleil, la lune et les autres astres [les planètes] lui servaient comme de compagnie, et formaient son cortège. Il dominait sur tout cela par son éclat, et tout le monde était dans l’admiration en considérant cette nouvelle lumière ?»

Nous avons choisi cette traduction d’Augustin Calmet* dont l’œuvre d’exégète était appréciée d’Ernest Renan qui le jugeait bon helléniste mais dénué de tout esprit critique. Aujourd’hui de hautes autorités catholiques et récemment des universitaires, dans des éditions de renom, traduisent ce texte en dépit du bon sens : «qui voit le Soleil et la Lune exécuter une ronde autour de l’étoile» ou «firent un chœur pour cette étoile» ; «l’étoile», mais il s’agit de «aster», un astre, aussi bien planète qu’étoile ; cette traduction rapporte un phénomène absurbe qui se serait déroulé en plein jour. Christian Boudignon, helléniste à l’université d’Aix en Provence et ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure a récemment tranché en faveur de Dom Calmet sur le site de Connaissance hellénique, ch.hypotheses.com. Christian Boudignon rappelle qu’Ignace d’Antioche décrivant la marche des planètes le long de l’écliptique utilise les mêmes mots que Platon décrivant la marche de Protagoras, sur le devant du portique, accompagné de ses disciples qui tous marchaient en ligne avec lui.

Autre grossière erreur d’astronomie dans toutes les traductions sur «l’Etoile» des Mages. Ces astronomes chaldéens n’ont pas vu l’étoile «à l’Orient» ce qui signifierait une direction géographique mais «à son lever», non un lever journalier mais annuel, qui est la première apparition de l’astre après une période où il n’était plus visible, tous les 399 jours, en moyenne pour Jupiter. Cette phrase ne désigne pas un Lieu mais un Temps.


Ignace d’Antioche, 35-110, Lettre aux chrétiens d’Ephèse,19-2. A lire les commentaires d’Ernest Renan dans astronomiechaldeenne.free.fr
Calmet Augustin, 1726, Dissertation sur les Mages qui vinrent adorer Jésus-Christ (tome 7) et Sur saint Matthieu chap. II (tome 7), in Commentaires sur tous les livres de l’Ancien et du Nouveau Testament en 26 volumes extraits des Pères de l’Eglise par Dom Calmet, 1672-1757, bénédictin, prieur de l’abbaye de Senones dans les Vosges.