La navigation astronomique dans l'Antiquité




Lignes horaires classiques des cadrans solaires et les 7 lignes orthogonales délimitant les 12 mois du zodiaque
Scaphé de Carthage, Musée du Louvre, photos Evelyne Tricot à voir sur michel.lalos.free.fr


Premier paradoxe de la navigation, on est plus en sûreté au large que près des côtes ; c’était d’autant plus fondé dans l’Antiquité avec de lourds bateaux qui ne remontaient pas au vent.
Deuxième paradoxe, en pleine mer il est plus facile de s’orienter de nuit avec les étoiles, et plus difficile le jour avec le Soleil, car il faudrait avoir l’heure …ou, comme Pythéas, un gnomon portatif, mais adapté à chaque latitude.

L’astronome Antoniadi* nous cite des témoignages de la navigation astronomique dans l’Antiquité, voici les plus marquants. Au XIIIe siècle avant notre ère, à l’époque du voyage mythique de Jason et des Argonautes embarqués sur un navire à la recherche de la Toison d’or, la constellation du Dragon qui se faufile entre la Petite Ourse et la Grand Ourse était alors au pôle céleste. Tiphys, le pilote, explique sa navigation : «Mon guide est ce Dragon qui, enlaçant de ses replis sept étoiles, [la Petite Ourse], plane toujours au-dessus de l’horizon et ne se couche jamais dans les flots». Les grecs reconnaissent l’art des navigateurs phéniciens et les traitent d’écumeurs des mers : «lls se guident en mer avec Cynosure [la Petite Ourse], plus faible que la Grande Ourse mais plus utile aux marins car tournant dans un cercle plus petit». Aratus, poète et astronome cité par Hipparque, confirme « les Achéens ont confiance en Hélice [la Grande Ourse] pour guider leur navire », elle était alors relativement proche du pôle à 15°, non à 25°comme aujourdhui.

Tout le monde connaît le passage d’Homère dans l’Odyssée : «En quittant l’île de Calypso, Ulysse dirige pendant dix-sept jours son radeau en gardant constamment l’Ourse sur sa main gauche». Ovide indique que les grecs «gouvernent leurs navires avec la rame et observent l’astre pluvieux de la Chèvre, ainsi que Taygète [l’une des 7 étoiles des Pléiades], les Hyades et l’Ourse». Euripide disait déjà «les Hyades constituent un point de repére sûr pour les navigateurs»


Antoniadi Eugène, 1932, La premère application de l’astronomie à la navigation, Bulletin de la Société astronomique de France, p.119.



Dans sa De vita Peireskii, Gassendi rapporte que Nicolas Fabri de Peiresc, lors même qu’il refaisait à Marseille l’expérience de Pythéas au solstice d’été, «avait appris l’existence chez le cardinal Barberini d’un scaphidium, (diminutif rare, terme propre à Gassendi un petit scaphé) dont Eratosthène, et d’autres, et vraisemblablement Pythéas, s’étaient servis, il se hâta d’écrire pour obtenir le petit scaphé ou du moins sa copie réduite».

Un gnomon de 10cm de haut sur une table à carte de 60x40 cm, ou un scaphé de 40 cm de diamètre permet de s’orienter au Soleil à 10° prés. Les graduations horaires sont inutiles, tout repose sur le tracé des 7 hyperboles délimitant la longueur de l’ombre lors des 12 mois de l’année. Un travail aisé, à la portée de tout navigateur, qui pouvait être effectué tout au long de l’année précédente; c’était presque un jeu de relever entre-temps la longueur de l’ombre de 10 jours en 10 jours et de tracer les hyperboles intercalaires des décans du zodiaque.

On sait que dans l’Antiquité les navigations au long cours s’effectuaient en changeant de pilote, chacun familier des dangers de sa zone : l’un pour la rémontée des côtes ibériques, un autre la traversée du golfe de Gascogne d’autres aux latitudes de la mer d’Irlande ou de la mer du Nord ; chacun pouvait avoir un gnomon ou scaphé adapté à la latitude de ses navigations. Un astronome comme Pythéas était en mesure, par des méthodes graphiques et de projections, de préparer un gnomon adapté aux latitudes de 50° ou 60°qu’il comptait atteindre.

L’usage en mer était simple. On connaissait la date du jour, donc l’hyperbole du décan où l’extrémité de l’ombre devait se situer, il fallait alors orienter la table jusqu’à ce que l’ombre vienne s’allonger jusqu'à la ligne hyperbolique du jour même, interpolée entre les lignes de 2 décans voisins.


Gassendi Pierre, 1651, De vita Peireskii, traduction Roger Lassale et Agnès Bresson, 1992, Peiresc, le « prince des curieux » au temps du baroque, collection Un Savant une Epoque, édition Belin. 

Au delà du cercle arctique, au solstice d’été, le Soleil ne se couche pas, il descend lentement sur l’horizon, et l’effleure, avant de remonter. Pythéas l’avait anticipé, mais quelle intense émotion de le vérifier, au terme d’un périple que nul ne refit pendant 12 siècles ou du moins dont on a un récit d’explorateur.



Au delà du cercle polaire, au solstice d‘été, l’ombre du gnomon passe au sud à minuit, la première hyperbole se referme alors en ellipse.

Strabon parle longuement des deux zones climatiques «qui intéressent le géographe, celles où vivent les peuples… les Amphisciens qui voient l’ombre du gnomon tantôt au nord tantôt au sud, zone entre les tropiques … les Hétérosciens, quand ils voient l’ombre méridienne tomber, ou toujours au nord, comme c’est le cas pour nous, ou toujours au midi comme il arrive aux habitants de l’autre zone tempérée».

«Pour ce qui est des contrées ultérieures, lesquelles touchent la partie de la Terre que le froid rend inhabitable, nous l’avons dit en réfutant Pythéas, le géographe n’a que faire de s’en occuper… Là commence la région des Périsciens, dénomination proposée par Posidonius, laquelle s’étend jusqu’au pôle. Il est évident que l’ombre y doit décrire un cercle entier autour du gnomon».

Cette photo de Bob King, astronome de Sky and Telescope, prise dans les contrées nordiques, montre que la Lune est haute dans le ciel lors des Pleines Lunes d’hiver. Ce clair de Lune permet ici de pêcher sous la glace, Pythéas affirmait déjà qu’on pouvait lire la nuit. La photo a été prise en janvier 2017 époque pourtant défavorable ; en 2026, selon son cycle de 18,6 ans que nous avons longtemps évoqué, elle montera 10° plus haut soit plus de 50°au-dessus de l’horizon, 23°5 + 28°5, alors que le Soleil n’émerge pas.

Dans ces contrées nordiques la Pleine Lune culmine au plus haut l’hiver et à minuit. Mais dès que la Lune devient Nouvelle, donc proche du Soleil, elle affleure au mieux l’horizon, comme lui, et à midi.

Dans le Kalevala, l’épopée nationale finlandaise du Ve siècle, recueillie par Elias Lönnrot, un poème est consacré à la Lune nordique : «La Lune lui répond avec intelligence : J’ai bien assez de mes propres tourments pour répondre à ton fils. Mon destin est cruel, mes jours sont durs. Je suis née pour errer solitaire au milieu des nuits, pour briller pendant les froids rigoureux, pour veiller sans cesse durant les interminables hivers, pour disparaître alors que règne l’été». Léouzon-Le Duc.


Léouzon-Le Duc, 1926, Le Kalevala, épopée nationale de la Finlande, Piazza, L’édition d’Art, Paris.