La durée inégale des saisons a été mesurée avec un gnomon



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La tradition grecque attribue à Thalès de Milet les premières déterminations des dates des solstices et des équinoxes et les premiers doutes sur la durée des saisons : leur durée était-elle identique ? Dates imprécises pour les solstices, sol stat, le Soleil est alors stationnaire et semble venir se coucher au même point limite sur l’horizon pendant 8 à 12 jours. Dates faussées aux équinoxes par les effets importants de la réfraction atmosphérique si l’on observe levers et couchers du Soleil à l’horizon ; mais dates correctes si l’on mesure la longueur de l’ombre du gnomon quand le Soleil est en hauteur, on s’affranchit alors de la réfraction atmosphérique. Conclusion paradoxale, ce n’est pas aux équinoxes que l’on voit le Soleil se lever à l’Est et se coucher à l’Ouest, il s’en faut d’un jour 1/4 environ à nos latitudes.
En 430 B.C. Euctémon effectuait encore des erreurs de deux jours sur la durée des saisons, mais tout bascula en 330 B.C. quand Callippe mesura la durée des 4 saisons à mieux qu’une demi-journée, et conclut à des valeurs inattendues : le printemps 94 jours, l’été 92, l’automne 89, l’hiver 90. Mais comment l’expliquer ? Hipparque deux siècles plus tard apporte sa réponse : le Soleil est plus proche (au périgée) en automne-hiver, plus éloigné (à l’apogée) au printemps-été, et il démontre que le Soleil décrit un cercle excentré dont il donne la direction apogée-périgée et l’excentricité. On sait aujourd’hui qu’il s’agit de l’inégalité de vitesse de la Terre autour du Soleil désormais exprimée par la loi des aires de Képler.
Les Grecs venaient de mettre en évidence l’inégalité de la vitesse du Soleil. Les Chaldéens avaient découvert cette anomalie indépendamment. Selon leur première formule, brutale, ils considéraient que la vitesse du Soleil dans le zodiaque était de 30° par lunaison quand il se déplaçait de la Vierge aux Poissons (zone du périgée) et qu’elle était de 28°1/8 par lunaison dans la partie restante de l’écliptique (zone de l’apogée); on peut exprimer la même chose en parlant de deux paliers de vitesses : 1°0159 par jour dans la zone périgée et 0°9524 par jour dans la zone apogée. Au IVe siècle, Kidinnu, le grand astronome Chaldéen, adopta un système continu faisant varier la vitesse graduellement, de 18’ à chaque lunaison, entre les deux valeurs extrêmes de la vitesse : 28°10’ par lunaison à l’apogée et 30°02’ par lunaison au périgée (Bigourdan*).
L’inégalité des saisons est une magnifique découverte, toute simple, que chacun peut vérifier, avec une précision meilleure que celle de Callippe, sur le calendrier de la Poste qui précise les heures, minutes et mêmes les secondes des équinoxes et des solstices. Cette vérification facile se révèle pertinente car la durée des saisons a changé depuis lors, donc la direction apogée-périgée du Soleil et l’excentricité, deux paramètres qui jouent sur l’ensoleillement à l’échelle de dizaines de milliers d’années et donc concerne directement les lentes évolutions climatiques et les périodes glaciaires. Nous en reparlerons. Voir aussi Théorie astronomique du climat CNRS et Paramètres de Milankovic Wikipedia


Bigourdan Guillaume, 1911, L’astronomie, Evolution des Idées et des Méthodes, édition Flammarion


Chaque jour le Soleil décrit une courbe différente sur la voûte céleste, d’Est en Ouest, tandis que sur le sol l’extrémité de l’ombre décrit une hyperbole, en direction inverse, d’Ouest en Est. Les jours de printemps et d’été le Soleil est haut dans le ciel, l’ombre est courte, les hyperboles sont proches du gnomon, de forme concaves. Les jours d’automne et d’hiver le Soleil est bas dans le ciel, l’ombre est longue, les hyperboles sont éloignées du gnomon, de formes convexes.

Parmi les 365 hyperboles décrites au cours de l’année, sept d’entre elles sont critiques : les deux hyperboles extrêmes les jours des solstices d’été et d’hiver, la ligne droite centrale commune aux équinoxes de printemps et d’automne, mais aussi 4 autres hyperboles intermédiaires, intertropicales, qui, avec les précédentes, vont découper l’écliptique en 12 secteurs égaux de 30°. A l’époque de Géminos, ces 12 secteurs correspondaient exactement aux signes du zodiaque mais ils glissent lentement, en 26 000 ans, en raison de la précession des équinoxes. Les 7 lignes de fuite correspondent aux déclinaisons 0°, 11°5, 20°2 et 23°5, elles délimitent sur l’horizon 6 zones que les Anciens Egyptiens et Grecs nommaient les 12 portes du Soleil.

Géminos de Rhodes affirmait : «Sont en syzygie, suzugia, union… Sont par couples les signes du zodiaque qui se lèvent d’un même lieu même porte et se couchent au même lieu…Le Cancer, si l’on considére le douzième entier les 30° de longitude écliptique, occupe une position symétrique de celle des Gémeaux : l’un et l’autre signe sont à distance égale du point solsticial d’été. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la durée des jours est égale dans les Gémeaux et dans le Cancer ; sur les cadrans solaires les lignes décrites par les gnomons sont à égale distance du tropique d’été, dans le Cancer et dans les Gémeaux ils sont compris à l’intérieur des mêmes parallèles de déclinaisons 20°2 et 23°5». Les enfants de CM2 des quartiers Nord de Marseille reportèrent les labels (dessins choisis sur internet) tels «Cancer» et «Gémeaux» entre les mêmes hyperboles de leur gnomon.

La méthode utilisée par les Anciens pour partager l’écliptique en 12 parties égales resta longtemps une énigme pour les astronomes observateurs. Géminos*, dans ce texte oublié qui fut traduit pour la première fois en 1975 par Germaine Aujac, nous révèle ici la «méthode du gnomon», méthode la plus simple et donc la plus probable utilisée «par les Anciens». Le vocabulaire des astronomes Grecs change également à cette époque : zodion, désignait les anciens signes du zodiaque des astrologues dont le tracé fantaisiste sur le ciel conduisait à un partage inégal de l’écliptique, désormais les astronomes utilisent le mot dodekatemorion, douzième partie de l’écliptique, 30° chacune.


Géminos de Rhodes, fl. 70-55 B.C., Introduction aux phénomènes, traduction et commentaires Germaine Aujac, édition Les Belles Lettres, 1975.
Aujac Germaine, professeur émérite de grec, spécialiste des textes d’astronomie et de géographie d’Autolycos de Pitane, Géminos de Rhodes, Strabon, a soutenu sa thèse sur les Phénomènes astronomiques de Géminos, un astronome grec alors inconnu qui nous livre les meilleures informations sur l’astronomie chaldéenne. Jacqueline de Romilly qui présidait le jury lui demanda «Qui est ce Géminos de Rhodes, je n’en ai jamais entendu parler?». Delambre, en 1807, nous en avait livré quelques brefs extraits.

En couleur bleu les points cardinaux, l’équateur Est-Ouest, et, parallèlement, les deux tropiques.

En couleur bleu clair, l’écliptique, ligne AB inclinée de 23°27’ sur l’équateur.

Cet angle de l’obliquité est ici reporté en couleur verte.

Toujours en couleur bleu clair, on reporte avec le compas, à partir du diamètre AB, les 6 angles de 60° dont on trace les bissectrices, soit désormais 12 angles de 30°.

On joint deux à deux ces points intertropicaux de même déclinaison, ce sont les 4 lignes de couleur magenta qui coupent l’écliptique aux 4 points FGHI.

Par ces 4 points FGHI, les 4 doubles flèches de couleur rouge, on trace les 4 parallèles à l’équateur de couleur rouge. Ce sont les parallèles intertropicales recherchées, de déclinaisons 11°5 et 20°2, qui divisent l’écliptique en 12 parties égales.



On constate avec curiosité que lors des équinoxes l’extrémité de l’ombre du gnomon décrit une ligne droite. En effet lors des équinoxes le Soleil est situé dans le plan équatorial, plan diamétral de la sphère céleste. Il décrit alors son plus grand cercle dans le ciel et le plan de son orbite intersecte le plan horizontal selon une ligne droite. La veille l’extrémité de l’ombre décrivait une hyperbole encore convexe, le lendemain l’hyperbole décrite sera déjà concave, et l’inverse à l’équinoxe d’automne. L’œil est très précis, sensible au moindre défaut d’alignement, surtout si la règle en airain est sertie sur 160 mètres de longueur comme à l’horologium d’Auguste à Rome. Cette ligne droite, basculement de l’hyperbole concave à l’hyperbole convexe, indique la direction du coucher vrai du Soleil, à l’Ouest ce jour-là.

Sur le graphique le «demi soleil» représente le Soleil apparent tel qu’on le voit disparaître à l’horizon et le «plein cercle» représente la position du Soleil réel, déjà sous l’horizon lors du coucher, et encore sous l’horizon lors du lever.

En raison de la réfraction atmosphérique> les astres nous apparaissent plus haut qu’ils ne sont en réalité. Ce décalage apparent, limité à 5’ d’arc si l’astre est à 10° de hauteur, s’accroît à l’approche de l’horizon pour atteindre 36’ d’arc sur l’horizon. Quand on voit le Soleil disparaître «à demi» à l’horizon, le « Soleil réel » est déjà à 36’ sous l’horizon. Attention, la réfraction atmosphérique agit dans le plan vertical uniquement et ne déplace pas latéralement l’azimut du coucher du Soleil, mais elle «fausse» la date de l’évènement. La date exacte de l’équinoxe est celle où le Soleil «réel» franchit l’horizon aux azimuts 90° et 270°. A combien se chiffre cette erreur? Avec une réfraction moyenne de 36’ et pour la latitude de Cyzique, obtient un décalage azimutal de 31’ légèrement supérieur au décalage journalier du Soleil sur l’horizon, 28’ d’arc. Environ 1 jour et 1/8 pour l’équinoxe de printemps autant à l’automne mais dans l’autre sens, soit d’équinoxe à équinoxe 2 jours ¼ de plus pour l’apogée et de moins pour le périgée.

  •  A droite du graphique, on regarde vers l’Ouest à l’approche des équinoxes. Le Soleil descend en oblique. On sait que de l’hiver à l’été le point «où le Soleil se couche» se décale jour après jour du sud-ouest au nord-ouest (flèche rouge en haut), tandis que de l’été à l’hiver il se décale du nord-ouest au sud-ouest (flèche rouge en bas). Lors de l’équinoxe de printemps (en haut), le jour où l’on voit le Soleil disparaître à l’Ouest, le «coucher réel» du Soleil (le point rouge) n’a pas encore atteint l’Ouest, ce sera pour le lendemain ou le surlendemain. Lors de l’équinoxe d’automne (en bas), le «coucher réel» du Soleil (le point rouge) a déjà dépassé le point Ouest, c’était la veille ou l’avant-veille.
  •  A gauche du graphique, on regarde vers l’Est à l’approche des équinoxes. Le Soleil monte en oblique. On sait que de l’hiver à l’été, jour après jour, le point «où le Soleil se lève» se décale du sud-est au nord-est (flèche rouge en haut), et, de l’été à l’hiver, se décale du nord-est au sud-est (flèche rouge en bas). Lors de l’équinoxe de printemps (en haut), le jour où l’on voit apparaître le Soleil à l’Est, le Soleil levant «réel» (le point rouge) n’a pas encore atteint le point Est, on est à la veille ou l’avant-veille de l’équinoxe. Lors de l’équinoxe d’automne (en bas), le Soleil levant «réel» (le point rouge) a déjà dépassé le point Est, on est au lendemain ou sur lendemain de l’équinoxe. 



Callippe est originaire de Cyzique, cité de grande tradition astronomique de la côte sud de la Propontide, la mer de Marmara. Eudoxe de Cnide y avait enseigné le système «des sphères homocentriques» qui séduira tant Aristote. Si Callippe était trop jeune pour avoir reçu cet enseignement d’Eudoxe du moins il le reçut par l’intermédiaire de Polémarque son aîné. Nul doute qu’en ce lieu, en cette Ecole d’astronomie de Cyzique, se dressait un gnomon, sinon les mesures de Callippe, faussées par le phénomène de la réfraction astronomique, n’auraient pu atteindre l’exactitude.

Polémarque et Callippe rejoignirent Aristote à Athènes en 330 B.C. Callippe y améliorera le modèle d’Eudoxe et d’Aristote en y ajoutant une sphère supplémentaire qui tenait compte désormais de l’inégalité des vitesses du Soleil et rendait mieux compte des observations.

Le tableau ci joint établi par Bigourdan montre la précision des mesures de Callippe, mieux qu’une demi-journée. Cet excellent travail de mesure amènera deux siècles plus tard à une avancée magistrale sur les orbites excentriques le fameux «problème d’Hipparque».


Bigourdan Guillaume, 1911, L’astronomie, Evolution des Idées et des Méthodes, édition Flammarion.