Le problème d'Hipparque : un cercle excentré




Reliefs des palais assyriens de Nimroud, Khorsabad et Ninive au British Museum exhumés entre 1845 et 1855 par Sir Henry Layard. Ici, libation du grand roi Assurbanipal, 668-627, versant du vin sur son trophée de chasse de lions morts en offrande à Ishtar, Vénus, la déesse de Babylone.
Noter la magnifique inscription en écriture cunéiforme. Image Assyrian Palace sculptures par Paul Collins, The British Museum Press.
La bibliothèque du roi Assurbanipal contenait 25 000 tablettes ou éléments dont 1400 étaient consacrées aux mouvements des 7 astres errants dans le zodiaque en particulier au mouvement complexe de la Lune.

Vers 330 B.C. Callippe avait montré qu’il s’écoule 186 jours de l’équinoxe de printemps à l’équinoxe d’automne et 179 jours seulement de l’équinoxe d’automne à l’équinoxe de printemps. Deux siècles plus tard Hipparque confirme ces mesures mais surestime d’ailleurs d’un jour la durée printemps+été qu’il trouve égale à 187 jours ; son complément automne+hiver est alors 178,25 jours. Ptolémée* qui nous a rapporté ces mesures d’Hipparque précise qu’il a lui aussi remesuré les dates du solstice d’été et des équinoxes, en la 463e année depuis la mort d’Alexandre, et trouvé les mêmes durées des saisons.
Par quelle méthode de mesure, ou de calcul ? une mesure directe avec un gnomon ? ou sur l’horizon ? une interpolation entre deux jours successifs ? était-ce un calcul en différé pour les solstices au terme de 15 jours de mesures ? ou une simple vérification sur la base des valeurs des années précédentes ? Il est certain que solstices et équinoxes se produisent à toute heure, de jour comme de nuit, mais Ptolémée pouvait-il observer le soleil la nuit ? Il reste trop vague sur ses méthodes d’observation : «l’équinoxe d’automne étant arrivé le 9 d’Athyr après le coucher du soleil»… «celui du printemps, le 7 de Pachôn après midi»…«le solstice d’été étant arrivé le 11 de Mésorê après minuit d’avant le 12»…quant au solstice d’hiver, Ptolémée, comme Hipparque, ne s’en donne pas la peine : il a déjà la «balance» entre printemps+été (187 jours) et automne+hiver (178,25) mais aussi, sur l’axe perpendiculaire, la «balance» entre printemps (94,5 jours) et été (92,5).
Tout le génie d’Hipparque s’exprime dans cette explication magistrale qui attendait depuis deux siècles : si les saisons d’automne et d’hiver sont plus courtes, c’est parce que le Soleil est alors au plus proche de la Terre. Ce qu’on désigne désormais comme le «problème d’Hipparque» est la «recherche d’un nouveau centre» qui répartit entre les 4 quadrants, équinoxes/solstices, ces mêmes durées des saisons qu’il venait de mesurer.


Ptolémée Claude, Almageste, livre III, chap. 4, p.184 dans la traduction française de Nicolas Halma, 1813 ; notes de Delambre

Sur ce graphique du «problème d’Hipparque», expliqué par Bigourdan*, on sent intuitivement que le «centre idéal» qui va reconstituer les durées des 4 saisons, telles qu’elles ont été mesurées par Callippe et Hipparque, va se situer dans le quadrant le plus long : les 94,5 jours du printemps. Pour des raisons de lisibilité Bigourdan a volontairement exagéré l’excentricité de l’orbite du Soleil ; l’angle attribué au «printemps» avoisine 110°à 120°alors que les 94,5 jours correspondent à 93°14. La première étape consiste à compter les 4 angles des saisons «en degrés» plutôt qu’ «en jours» sur la base, ici, de 365 jours ¼ ; si nécessaire Hipparque se révéla plus précis 365 jours +1/4 +1/300.

La Terre est ici au centre. Le premier cercle, excentré, représente l’orbite du Soleil, avec, à droite, pour l’automne et l’hiver, des petits soleils «tristes», et à gauche, pour le printemps et l’été, des petits soleils «gais». Sur le grand cercle extérieur, les étoiles repères marquent les différentes positions du Soleil dans les signes du zodiaque. Les solstices et équinoxes sont à 90°, la croix tracée en bleu. On «sent» déjà que c’est à la fin de l’automne que la Terre sera le plus proche du Soleil.


Bigourdan Guillaume, 1911, L’astronomie, Evolution des Idées et des Méthodes, édition Flammarion.



Hipparque avait compté 187 jours d’équinoxe de printemps à équinoxe d’automne et au retour le complément 178 jours1/4 soit 175°7, c’est le triangle isocèle tracé en couleur verte à gauche. Les petits angles à la base 2°15 chacun correspondent au rapport 1 sur 26,6 entre l’excentrement Cx et le rayon du cercle (les Grecs ne connaissaient ni les sinus, ni les tangentes ; leur trigonométrie, basée sur des triangles aux sommets inscrits dans un cercle utilisait des tables de cordes).

A droite du graphique, du solstice d’hiver au solstice d’été, Hipparque avait compté 184 jours5/8 et au retour le complément 180 jours 5/8 soit 178°03 ; c’est le triangle isocèle tracé en couleur verte. Les petits angles à la base 0°985 chacun correspondent au rapport 1 sur 58 entre l’excentrement Cy et le rayon du cercle.

La résultante entre ces deux composantes Cx et Cy conduit à une excentricité de 1/24, et leur rapport 26,6/58 donne l’angle, soit un périgée à 24°5 en amont du solstice d’hiver, 25 jours plus tôt : le 26 novembre.

Ces calculs géométriques dit des «arcs capables» remontent à Euclide. Képler les utilisa également pour démontrer l’ellipticité de Mars. Ils ont longtemps été utilisés par les marins pour faire le point en mer, lorsqu’on se situe à proximité des côtes, et avec 3 amers en vue. Cette méthode graphique, avec un calque que l’on fait glisser, était rapide, qualité indispensable dans ces circonstances dangereuses près des côtes. Cette technique était assez précise si l’on arrivait à identifier 3 amers formant des triangles de type équilatéral. Ici, l’erreur sur l’azimut du périgée aurait été lourde.

C’est ce jour là, le 26 novembre, que la Terre était au plus près du Soleil au temps d’Hipparque, aujourd’hui c’est le 6 janvier, un lent mouvement séculaire. Les astronomes du XIXe siècle ont montré que l’excentricité varie de 0 à 0,07 en 94 000 ans, et que le périgée effectue un tour en 21 500 ans, Ces deux phénomènes, ainsi que la variation de l’obliquité de l’écliptique, ont des conséquences sur l’ensoleillement de la Terre, et on devine les conséquences climatiques à très long terme. On comprend par exemple qu’une forte excentricité accentue le contraste entre les étés et les hivers et accroit la rigueur du climat, par chance nous approchons de la période idéale d’une orbite circulaire. Ces 3 paramètres de base de la théorie astronomique du climat (www.cnrs.fr) sont à l’origine des périodes glaciaires.



En découvrant l’excentricité de la Terre autour du Soleil et en la mesurant Hipparque avait parcouru 99% du chemin, la touche finale sera l’ellipticité. Mais celle de l’orbite terrestre est tellement faible que Képler qui avait établi la loi des aires et les orbites elliptiques des planètes en mesurant l’ellipticité (plus élevée) de la planète Mars, n’avait pas, en son temps, les moyens de mesurer celle de la Terre.

La correction de l’excentricité est de 16 sur 1.000. Celle de l’ellipticité est de 13 sur 100 000 seulement. Sur ce graphique nous avons reporté les valeurs pour un cercle de 1 mètre de rayon. L’excentrement est assez sensible, 16 mm, mais l’ellipticité demeure imperceptible à cette échelle : l’ellipse Képlérienne reste inscrite dans l’épaisseur du trait de 0,13 mm d’épaisseur. Les 4 zooms tentent de le montrer : sur le grand axe, à droite et à gauche, l’ «ellipse», en rouge, tangente extérieurement le «cercle en grisé», tandis que sur le petit axe, en haut et en bas, elle le tangente intérieurement.