Les treize tours de Chankillo, observatoire des levers extrèmes





La Lune s'écarte de l'écliptique de +/- 5°, Vénus de +/- 4°, Mercure de +/- 2,5°

Le site de Chankillo au Pérou, avec ses 13 tours et sa citadelle à murailles concentriques était connu depuis le XIXe siècle. « Les 13 tours, régulièrement espacées le long d’une crête rocheuse Nord-Sud, ont de 2 à 6 mètres de haut avec des escaliers montant au sommet ; elles sont espacées d’environ 5 mètres. La forteresse est entourée de murailles concentriques de 6 mètres de large et 12 mètres de haut, elle est située à environ 1 km des 13 tours […] Alors que la région est encadrée de grandes chaînes de montagnes, le site est entouré de collines basses avec un horizon bien dégagé, permettant une bonne observation du Soleil » wikipedia*.
Ce site imposant et d’une grande richesse a été étudié en 2007 par l’archéologue Yvan Ghezzi qui l’a daté du IVe siècle avant notre ère, puis, en collaboration avec un archéoastronome britannique, Clive Ruggles, a émis l’hypothése que les 13 tours pouvaient être des repères destinés à mesurer les levers successifs du Soleil au cours de l’année, du solstice d’hiver au solstice d’été. Cette thèse d’un observatoire astronomique a été relayée, depuis lors, par l’encyclopédie Britannica*, Wikipedia, Scientific American, la Recherche, la Science, Ciel et Espace, Science et Vie.

Britannica
Wikipedia

Le point d’observation choisi par Yvan Ghezzi est situé sur la médiatrice de l’alignement Nord-Sud des 13 tours et en conséquence les levers symétriques aux solstices d’été et d’hiver se produisent dans le premier et dans le dernier créneau, et la distance choisie est telle que l’angle sous-tendu par les 12 intervalles correspond exactement à l’amplitude du mouvement du Soleil au cours de l’année. Hélas il n‘y a pas de vestiges vraiment probant de ce point de visée, situé en marge de constructions rectangulaires dont on n’imagine mal le lien avec une activité astronomique, ces constructions sont-elles d’ailleurs de la même époque ?

Yvan Ghezzi a cherché le point d'observation pour le lever du soleil, donc situé à l’Ouest des 13 tours, un choix pertinent qui justifie l’existence de ces «tours de guet» dotés d’escaliers pour accéder à leurs terrasses. En effet d’anciens textes assyriens font mention de guetteurs chargés de prévenir (avec un drapeau ou une cloche) l’astronome, situé à l’Ouest et en léger contre-bas, de l’imminence du lever d’un astre.



Pourquoi tant de tours sur cette crête s’il s’agit uniquement de mesurer deux azimuts, au solstice d’hiver et au solstice d’été ? Pourquoi la répartition des tours est-elle régulière, linéaire ? alors que les azimuts des levers du Soleil se décalent, jour après jour, selon une loi sinusoïdale. Le graphique montre en haut la répartition régulière des 13 tours soit 12 créneaux et en bas 7 azimuts-clés soit 6 secteurs d’horizon parcourus dans un sens puis dans l’autre au cours des 12 mois de l’année. On sait que le Soleil se décale lentement les semaines voisines des solstices et assez rapidement au temps des équinoxes (plus que son diamètre d’un jour à l’autre), on dit d’ailleurs que «les jours allongent vite».
Autres arguments contre ce point d’observation choisi par Yvan Ghezzi et Clive Ruggle : il nous semble en contre-bas, et trop proche des tours de guet alors situées à 235 mètres. En effet l’écartement entre deux tours étant de 5 mètres, chaque créneau couvre, à 235 mètres, un angle de 73 minutes d’arc soit 2,4 fois le diamètre du Soleil, c’est beaucoup trop. Dans de telles conditions on voit, aux solstices, le Soleil se coucher dans l’ultime créneau durant 28 jours d’affilée ce qui ne permet pas de fixer une date précise.

Les 13 tours de Chankillo constituaient-elles un observatoire propice à des découvertes astronomiques ? Quel usage en firent les astronomes de la civilisation Chavin ? il est fort possible qu’on ne le sache jamais, mais on peut décrire avec certitude ce que les astronomes peuvent découvrir avec 12 repères alignés nord-sud et un point d’observation bien choisi.
Pour les astronomes, les secteurs intéressants sur l’horizon sont les azimuts extrêmes que viennent prendre le Soleil, la Lune et les 5 planètes visibles à l’œil nu. Ce sont les secteurs centrés sur les solstices, d’été/d’hiver, au lever/coucher, 4 secteurs en tout mais un seul d’entre eux suffit pour déterminer le début de l’année et sa durée. Il en est de même pour le retour de la Lune à son point stationnaire tous les 27,3 jours (voir ici Lune mois sidéral et draconitique) et pour celui des planètes. Comme les planètes s’écartent assez peu de part et d’autre de l’écliptique : 2,5° pour Mercure, 4° pour Vénus, 5° pour la Lune, il suffit donc de couvrir un seul secteur d’horizon de 10 à 12° de large.
Sur le graphique, on a choisi le lever plutôt que le coucher puisque les levers justifient les tours de guet, et, arbitrairement, le lever d’hiver au sud-est qui positionne la zone d’observation possible sur les pentes de la citadelle de Chankillo. Cette zone, entourée d’une ellipse, est en léger contre-bas par rapport à la crête des 13 tours, et à la bonne distance : le Soleil et la Lune de 30’d’arc de diamètre s’encastrent alors parfaitement dans les créneaux entre deux tours et l’on couvre le secteur de 10 degrés nécessaire. Nous avons tracé la direction du solstice d’hiver -23,5° de déclinaison, valeur qu’il convient de majorer de 1 à 2% pour passer aux azimuts à la latitude de Chankillo, 9°33’ sud. Nous avons reporté de part et d’autre les levers extrêmes de la Lune -18,5° et -28,5°de déclinaison selon son cycle de 18,6 ans connu de Pythagore qui lui-même l’avait appris d’un celte nommé Abaris. Pourquoi cette civilisation Chavin aurait-elle fait exception et n’auraient-ils été assez intelligents pour s’apercevoir que certaines années la Lune, lors de ses levers, ne dépasse jamais le premier créneau de la crête de Chankillo, et, 9,3 ans plus tard vient, tous les 27 jours, jusqu’au 12e créneau. (voir ici Lune plan précesse).
Ne pouvaient-ils s’apercevoir que Jupiter ne vient que tous les 12 ans se lever au dessus de la crête de Chankillo à -23°5 et remarquer que 6 ans plus tôt cette planète se levait au nord-est à +23,5° ? Certes ils ne connaissaient pas la période de Jupiter (11,862 ans) à un jour près comme les babyloniens qui identifiaient sa position avec 36 étoiles échelonnées sur l’écliptique, mais il pouvaient connaître sa période à un mois près et annoncer triomphalement le retour de cette planète qu’ils vénéraient peut-être. De même il leur était facile de découvrir que Saturne se lève à 23°5 de déclinaison tous les 29,5 ans après avoir parcouru tout le cercle zodiacal.
Les astronomes de Chankillo pouvaient aussi s’apercevoir qu’à l’époque du solstice d’hiver la déclinaison de Vénus atteignait -27,5° tous les 8 ans après avoir été 5 fois étoile du matin et 5 fois étoile du soir. On sait que les mayas connaissaient les périodes synodiques et sidérales de Vénus (voir ici Vers l’héliocentrisme, Mercure et Vénus ). De même pour Mercure, avec des repères à l’horizon on est en mesure d’observer qu’aux alentours du solstice d’hiver sa déclinaison atteint certaines années -25,5°, tous les 46 ans après 145 révolutions autour du Soleil.
Dernière possibilité théorique avec de tels repères les astronomes de Chankillo étaient en mesure de déceler les mouvements d’oscillation du plan de l’orbite lunaire entre 5° et 5° 18’ (voir ici Lune, plan oscille), oscillations synchronisées avec le cycle des éclipses tous les 6 mois parfois 5 mois.
Ces événements astronomiques prévisibles étaient peut-être l’occasion de cultes et sacrifices aux dieux célestes, de festivités en tout genre. La citadelle de Chankillo, à proximité de cet observatoire astronomique de treize tours, était peut-être un lieu sacré
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