Du Gnomon d'Anaximandre à l'Horologium d'Auguste




De gauche à droite : kudurru du souverain kassite Mélishipak II au musée du Louvre,
sur la seconde stèle, Mélishipak introduit sa fille devant la déesse Inanna,
kudurru de Nabuchodonosor Ier au British museum,
enfin, à droite kudurru de Nazimaruttash au musée du Louvre.
Images La Grande Histoire de l’Art, tome 2, l’Art phénicien et du Moyen-Orient, édition Le Figaro collections, www.mediasatgroup.com

Les kudurru mésopotamiennes sont des stèles sculptées attestant le témoignage d’un souverain aux divinités. Les trois divinités célestes toujours présentes au sommet de la stèle sont le soleil, le dieu Shamash, la lune, la déesse Sin, et la planète Vénus la déesse Ishtar. Selon les circonstances on retrouve le dragon-serpent constellation située au pôle de l’écliptique et le scorpion, signe du zodiaque.

Les premiers astronomes tentaient de repérer la position des 7 astres errants (Soleil, Lune et 5 planètes) dans le zodiaque afin de connaître leur cours et par exemple percer le mystère de leur première visibilité, ainsi Jupiter, qui demeure invisible pendant plusieurs semaines, ré-apparaît tous les 399 jours en moyenne pour une période de plusieurs mois. L’horizon fut le premier instrument, naturel, utilisé par les astronomes, il permettait de prévoir la première apparition des planètes, de mesurer l’azimut des levers et couchers des astres errants, de repérer (par leur lever/coucher) quand deux astres se trouveraient en opposition de 180°sur l’écliptique. Le tracé de l’écliptique, avec 36 étoiles-repères, avait été acquis laborieusement, mais l’étape ambitieuse du dodekatemorion, sa division en 12 signes de 30° chacun nécessita des instruments de mesure : gnomons, dioptres et cercles.
Le gnomon, «l’indicateur», est un obélisque. La direction de l’ombre permet de déterminer les 4 points cardinaux (orientation des pyramides), et l’heure au cours de la journée. La longueur de l’ombre, plus courte l’été plus longue l’hiver, permet de déterminer les dates des solstices et des équinoxes mais aussi de partager l’écliptique en 12 parties égales.
Guillaume Bigourdan*, astronome à l’Observatoire de Paris, nous apprend que «le gnomon fut le premier instrument astronomique connu, chez les Chinois comme chez les Chaldéens, chez les Grecs comme chez les Incas. …Les Chinois prétendent l’avoir employé déjà du temps de Yao, vingt-quatre siècles avant notre ère, et leurs livres rapportent des longueurs d’ombres solsticiales faites 1.100 ans av.J.C.… L’horloge d’Achaz (720 av.J.C.) était peut-être un gnomon, et Hérodote (II,109) dit que les Babyloniens le firent connaître aux Grecs ; ce fut sans doute Anaximandre qui l’introduisit en Grèce, car l’invention lui est parfois attribuée… Dès lors, cet instrument se répandit dans tous les pays grecs : vers 320 avant J.C., Pythéas, cité par Hipparque, l’employait à Marseille pour sa célèbre observation ; et du temps d’Eratosthène l’observation des ombres du gnomon était familière dans toute les cités grecques ».
«L’inconvénient du dégradé de l’ombre (en sa bordure) fut évité en surmontant le gnomon d’une boule : l’ombre du centre de la boule correspond sensiblement au centre de l’ombre et au centre du Soleil. On attribue souvent ce perfectionnement à Ménélaüs…
…De leur côté les Arabes évitèrent le même inconvénient par l’emploi d’un trou rond, ce perfectionnement est attribué à Ibn-Jounis, et il le passa des Arabes aux Persans qui le firent connaître aux Chinois ; leur célèbre astronome Co-chéou-King, vers 1278, employa un gnomon 12m50 de haut selon Arago pour des observations solsticiales qui ont été utilisées par Laplace*».
Avec l’invention de l’optique le trou terminal fut remplacé par une lentille à longue focale. Le gnomon de l’église Saint-Sulpice inclus dans un vitrail du transept, à 16 mètres de hauteur, a été établi par Lemonnier en 1742. Il fit don plus tard de cette lentille à l’Observatoire de Marseille où j’ai pu vérifier sa longueur focale.


Bigourdan Guillaume, 1911, L’astronomie, 1911, édition Ernest Flammarion, Paris.
Laplace Pierre Simon (marquis de), 1799, Exposition du Système du Monde, note III,p.491, et Mécanique Céleste tome V et XIII, Gauthier-Villars. Laplace utilisa les mesures de Pythéas et de Co-chéou-King.


A côté du gnomon, il convient de citer les clepsydres à écoulement d’eau qui permettaient de mesurer le temps ; «leur invention a été attribuée au fabuleux hermès Trismégiste des Egyptiens : c’est dire qu’elle remonte à l’antiquité la plus reculée, et que son véritable inventeur est inconnu». Certains ont prétendu que Thalès avait employé une clepsydre pour mesurer les diamètres du Soleil et de la Lune, par le temps que ces astres mettent à se déplacer. A défaut d’une valeur absolue, difficile à étalonner, la méthode permettait de comparer le diamètre des deux astres, et pour la Lune, de déterminer le rapport de 10 à 11 entre son diamètre apparent minimum, (à l’apogée) et maximum (au périgée). Thalès qui avait mesuré la hauteur des pyramides par l’intermédiaire d’un gnomon dut apprendre des Egyptiens cet instrument de mesure du temps.

On connaît aussi la célèbre sphère céleste d’Eudoxe, IVe siècle B.C. un instrument permettant d’identifier les étoiles et les signes zodiacaux à tout instant et à toutes latitudes. Eudoxe avait reporté sur une sphère les étoiles les plus brillantes et y avait tracé les cercles parallèles à l’équateur, les deux tropiques et les deux circumpolaires, mais aussi les colures, 2 cercles passant par les pôles et menés l’un par les équinoxes, l’autre par les solstices. Sporus, son commentateur dit que «le but de ces sphères célestes n’était nullement de donner quelle que chose de bien précis, mais seulement ce qui devait suffire aux besoins des navigateurs».

A l’époque de Platon et d’Aristote il n’existait pas encore de cercles gradués pour mesurer les angles. La dioptre d’Hipparque serait le premier d’entre eux. Ptolémée (V, XIV) rapporte qu’elle consistait «en une règle de quatre coudées de longueur». Les descriptions de Théon d’Alexandrie et Proclus précisent «qu’une extrémité de la règle portait une pinnule où l’on plaçait l’œil. Le long de cettte règle glissait un curseur dont chaque position était définie par une division marquée sur la règle, et l’instrument pouvait être tourné dans tous les sens. Pour faire une mesure on déplaçait le curseur jusqu’à ce que l’œil placé à la pinnule le voit couvrir exactement l’espace angulaire à mesurer ; la lecture de la position du curseur sur la règle permettait de connaître l’angle cherché». Bigourdan*.

Avec Ptolémée, IIe siècle de notre ère, apparaissent les armilles équinoxiales et solsticiales, les astrolabes sphériques et astrolabes planisphères les quart de cercle et règles parallactiques. Nous parlerons aussi du merveilleux simulateur d’Anticythère qui reproduisait les inégalités des mouvements de planètes.


Bigourdan Guillaume, 1911, L’astronomie, 1911, édition Ernest Flammarion, Paris.

Au livre XXXVI,ch.XIV, Pline décrit «les deux obéliques égyptiens de 42 coudées, taillées par le roi Mephrès. L’entreprise la plus difficile, ce fut de faire venir des obéliques à Rome (amarrés sous des bateaux d’un tonnage équivalent à la Victory de Nelson). Les vaisseaux qu’on y employa ont eux-mêmes excité l’admiration…L’obélisque dressé par Auguste dans le grand Cirque avait été taillé par le roi Semenpsertée, sous le règne duquel Pythagore voyagea en Egypte : il a 85 pieds et 9 pouces, non compris la base, qui est de la même pierre. Celui qu’il a mis dans le champ de Mars a été aillé sous Sésostris».

Pline s’attarde sur l’obélisque du VIe siècle avant notre ère, 21 mètres de haut, 230 tonnes, qui devint l’horologium d’Auguste : «…des règles d’airain incrustées dans la pierre, construction mémorable, et digne du génie fécond du mathématicien Novus. Celui-ci plaça au haut de l’obélique une boule dorée dont l’ombre se ramassait sur elle-même  (image nette), au lieu que l’ombre projetée par la pointe même s’étendait énormément (image floue)...»

Rakob Friedrich, 1985, Horologium Augusti, Colloque du CNRS et de l’Ecole française de Rome».



La terrasse d’origine, «le lit de pierres décrit par Pline» ignorée depuis la chute de l’empire Romain, fut découverte en 1978 par les archéologues Friedrich Rakob* et Filippo Coarelli*. Cette terrasse, longue de 160 mètres, large de 90 mètres, était enfouie à 8 mètres de profondeur, sous la place du Parlement, dans l’alignement solsticial du mausolée d’Auguste, non loin du Tibre.

Les archéologues ont retrouvé le quadrillage classique, celui des gnomons qui projettent l’ombre sur le sol et des cadrans solaires muraux, à une exception près : il manque la dernière hyperbole plus au Nord, sous la basilique san Lorenzo, une zone non fouillée indiquée en rouge sur le relevé topographique. On retrouve donc:

  •  Les lignes droites qui marquent les heures et partagent alors le jour en 12 heures et la nuit en 12 heures, ce qui conduit l’été à de longues heures le jour et de brèves heures la nuit. Hérodote rapporte que l’invention des cadrans solaires serait due aux Babyloniens. On dit aussi que Périclès fit installer le premier cadran solaire à Athènes, dans la Pnyx, près du lieu où se tenaient les assemblées.
  •  Les 7 hyperboles, dont la ligne droite des équinoxes qui délimitent la longueur de l’ombre au cours des 12 mois du zodiaque: 6 mois à l’aller, à soleil montant, 6 mois au retour, à soleil descendant. 




Rakob Friedrich, 1985, Horologium Augusti, Colloque du CNRS et de l’Ecole française de Rome.
Coarelli Filippo, 198? Horologium d’Auguste, photo des hyperboles d’airain inscrustées dans le pierre, in Roma sepolta, éd. Armando Curcio.


Voici par 8 mètres de profondeur, dans la cave d’une maison, «le lit de pierres» décrit par Pline et les «règles d’airain incrustées dans la pierre», les graduations et inscriptions d’origne, en lettres grecques, sont magnifiquement conservées. Magnifique succès de Friedrich Rakob et de son équipe d’archéologues, d’avoir exhumé cet instrument de prestige élevé à la gloire de l’empereur Auguste.



Sur cette maquette, construite par une classe de CM2 de la Busserine, quartier Nord de Marseille, les élèves, sur cette table en acajou, ont croisé, en cuivre rouge les lignes droites convergentes qui marquent les heures équinoxales, et en cuivre jaune les 7 hyperboles qui définissent les 12 mois du zodiaque, et les 4 saisons. Ils découpèrent, courbèrent, collèrent clouèrent ces tiges en cuivre sur cette table en bois puis, sur un plexiglass transparent qui fut superposé, et guidés par leurs instituteurs, ils traçèrent à la règle et au compas les angles essentiels : la hauteur du pôle (la latitude) et l’obliquité de l’écliptique (l’inclinaison de l’axe de la Terre). Faisant preuve d’initiatives les enfants décorèrent avec goût chacune des 12 zones (6 montantes et 6 descendantes) de cette table d’orientation, avec le nom l’image de son symbole zodiacal, mais aussi avec les noms et images de fleurs qui éclosent aux différents mois et saisons.

L’image montre les différents tracés des lignes horaires entre les anciens gnomons qui donnaient des heures de durées inégales le jour et la nuit et les nouveaux, inventés par les astronomes, afin de donner une heure équinoxiale, un vingt-quatrième du jour. Dans ce dernier cas, en bas à droite de l’image, les lignes horaires convergent rapidement, et en un point unique connu situé légèrement au sud du gnomon à l’intersection de l’axe polaire passant par la pointe du gnomon.

Les Babyloniens ne connaissaient pas les heures ; selon le système sexagésimal, ils divisaient la journée en 60 minutes, la minute en 60 secondes, la seconde en 60 tierces et la tierce en 60 quartes. Ainsi au lieu d’une journée de 86.400 secondes comme nous, leur journée était de 3.600 secondes et au final 12.960.000 quartes. Dans l’Almageste Ptolémée cite la durée du mois anomalistique de la Lune, calculée par Kidinnu, égale à 27 jours 33 minutes 16 secondes 26 tierces 54 quartes.

Les Grecs et les Romains divisaient le jour en 12 heures et la nuit en 12 heures. Des heures inégales : l’été elles étaient plus longues le jour, mais brèves la nuit. Inversement, l’hiver, où les nuits sont fort longues, les heures l’étaient aussi.

Pour le relevé des éclipses notamment, les astronomes ne pouvaient travailler ainsi avec des heures à la carte : des durées différentes chaque jour de l’année, mais encore des durées variables selon la latitude du lieu. C’est d’ailleurs en raison de l’absurdité de ce système qu’est né le système actuel des heures équinoxiales, toutes égales entre elles, 1/24 de jour + nuit. En effet l’astronome Géminos de Rhodes parlant du périple de Pythéas le Massaliote jusqu’en Thulé au IVe siècle B.C., et citant son traité, L’Océan, affirme : «Car dans ces lieux (Orcades ou Shetlands) il arrivait que les nuits étaient tout à fait brèves, pour les uns de deux heures, pour les autres de trois, de sorte que le Soleil s’étant couché, après un petit intervalle il se relevait aussitôt». Nos «heures» étaient nées, du moins pour les astronomes. Hipparque et Ptolémée précisent toujours «heures équinoxiales» dans leurs calculs, mais l’usage des «anciennes heures» se maintient. A Rome, pendant des siècles, y compris du temps d’Auguste, on continua à construire des horologium dont les lignes horaires ne convergeaient.


Géminos de Rhodes, fl. 70-55 B.C., Introduction aux phénomènes, traduction et commentaires Germaine Aujac, édition Les Belles Lettres, 1975, chapitre VI, Le jour et la nuit §1 à 9.



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Auteur : Yvon GEORGELIN.  
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