Télescopes, Spectromètres & Interféromètres



15 juin 2022

Cette dernière partie est consacrée à l’évolution des télescopes, spectromètres et Interféromètres depuis le début du XIXe siècle. L’optique et la spectroscopie astronomique avec prismes, réseaux ou Pérot-Fabry a ses propres spécificités en raison de la morphologie des astres : étoiles ponctuelles, nébuleuses et galaxies étendues, champ d’étoiles et de galaxies, amas globulaires serrés mais aussi d’une gamme de flux très variée du Soleil aux galaxies les plus lointaines. Rappelons le principe de la conservation de l’énergie qui impose des petits télescopes de Survey à grand champ à côté des grands télescopes à petit champ. L’évolution des La lumière, iridescences récepteurs œil, plaques photographiques, caméra électronique, tubes intensificateurs d’image, CCD et comptage de photon, aux formats et encombrements (surtout pour le télescope spatial) variés ont pesé lourdement sur la conception optique des spectrographes.

L’optique française, triomphante à l’époque d’Arago, Fresnel, Babinet, Cornu, Fizeau et Foucault se maintint au premier rang jusqu’à la guerre 14-18 avec Pérot et Fabry.
Après la guerre 39-45 elle retrouva un nouveau souffle avec Pierre Jacquinot, qui développa les couches minces multi diélectriques, et son Ecole, notamment Robert Chabbal, inventeur d’un Pérot-Fabry intégral de champ avec 3 PF en harmonie, Pierre Connes qui réalisa le premier interféromètre de Michelson à transformée de Fourrier et mesura la pression dans l’atmosphère de Mars au Jet Propulsion Laboratory (opération Wiking de Nasa), et Paul Bousquet, auteur du livre fondamental Spectroscopy and its Instrumentation, à succès dans les universités américaines.
Georges Courtès et André Baranne, récemment décédés, sont assurément dans cette lignée célèbre d’opticiens. James Lequeux et moi-même, Yvon Georgelin, tous deux anciens directeurs de l’observatoire de Marseille, les avons côtoyé pendant plus de 50 ans et nous venons d’écrire dans Journal of Astronomical History and Heritage des articles rendant hommage à leurs travaux. Nous continuons ici pour les étudiants et pour les chercheurs soucieux de percer les petits secrets qui peuvent mener à un Prix Nobel comme Coravel et em>Elodie

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Il subsiste de rares photographies d’astronomes près de leurs instruments d’observation et de mesure, depuis les années 80 elles sont prises devant un pupitre de contrôle, tapissé d’écrans de commande, d’acquisition et d’analyse de données.

Nous montrons dans le bandeau quatre des astronomes français qui ont maintenu le renom de l’optique française:

Alfred Pérot et son interféromètre, en 1917, au sidérostat de l’Observatoire de Meudon. Souvent cités pour la mesure, avec leur interféromètre à ondes multiples du mètre étalon à 1 553 164,13 fois la longueur d’onde de la raie rouge du cadmium, Pérot et Fabry ont été des astrophysiciens solaires et nébulaires auteurs de 23 publications de spectroscopie interférentielle solaire dans l’Astrophysical Journal ; entre 1902 et 1914 revue dirigée par Georges Hale qui les invita pour les congrès solaires de 1905 et 1910 où ils établirent les nouvelles longueurs d’onde des raies solaires avec des spectres cannelés utilisant un réseau de Rowland comme pré-disperseur de leur interféromètre. Au téléscope de Foucault de Marseille, Fabry mesura les mouvements internes des vitesses radiales dans la nébuleuse d’Orion, et, à partir de la largeur de la raie H put évaluer pour la première fois sa température entre 12 000 et 15 000°K. Au sidérostat de Meudon Pérot mesura une augmentation relative des longueurs d’onde solaire des raies du magnesium de 2,5/1 000 000 par rapport aux mêmes longueurs d’onde terrestres, cette vérification de la relativité générale fut présentée en 1922 lors des conférences d’Einstein au collège de France ;

Henri Chrétiens, à la barbiche, avec Ritchey premier essai en 1927 à l’observatoire de Grammont dans l’Oise du premier télescope aplanétique à grand champ calculé par Chrétien en 1922. Chrétien avait débuté sa carrière d’opticien par un stage en 1910 au labo de Ritchey qui avait poli le grand miroir de 2m40 du Mont-Wilson. Cette solution de télescope Ritchey-Chrétien sera adoptée en 1960 pour les grands télescopes de 3.6m de Kitt Peak, Cerro Tololo et La Silla (ESO). Curieusement la célébrité de cet astronome de l’observatoire de Nice vint de son brevet d’invention « l’Hypergonar », objectif photographique à anamorphose qui est à l’origine du Cinémascope, ce projet délaissé en France pendant 25 ans sera enfin repris par la Twentieth Century Fox, en 1953, qui lui rendra un vibrant hommage.

Georges Courtès, pionnier de l’astronomie spatiale française, réussit en 1963 les premières photographies à grand champ en ultra-violet avec une fusée V2 depuis le champ de tir d’Hammaguir, il sera responsable de la caméra à grand champ du Space Telescope, Hubble, et sera chargé avec les opticiens de son laboratoire du calcul optique des lentilles permettant au correcteur chargé de corriger la myopie du télescope. Il sera un promoteur de l’usage de l’interféromètre de Pérot-Fabry pour l’étude de la matière interstellaire ionisée dans notre Galaxie, les Nuages de Magellan et les galaxies spirales proches mais aussi de la spectrographie 3D avec réseau : intégrale de champ avec trames de lentilles ou avec multifentes. Le colloque international IAU 149 Tridimensional Optical Spectroscopic methods in Astrophysics vint célébrer sa carrière qui s’achevait alors en 1995. La Photographie de Courtès 1968 au foyer primaire du télescope de 5m du Mont-Palomar pour mesurer avec un étalon de Perot-Fabry la discontinuité de vitesses entre l’hydrogène général du disque et celui des régions HII du bras sud de la galaxie M33.

André Baranne
André Baranne en compagnie de Michel Mayor et Didier Queloz. L’invention du spectromètre photoélectrique à corrélation Coravel, (Baranne, Mayor, Poncet 1979) et du spectrographe avec CCD, Elodie (Baranne, Queloz, Mayor et al. 1996) ont jalonné la carrière de spectroscopiste d’André Baranne après l’invention de son incontournable montage à pupille blanche qui utilise correctement les réseaux, en autocollimation (Littrow). L’originalité du Coravel et d’Elodie réside dans l’utilisation de réseaux échelle (tg2 puis tg4) qui permet de contourner l’effet Doppler-Fizeau puisque toutes les longueurs centrales des différents ordres se décalent, pour un redshift donné de la même quantité, du rouge au violet.

1 - La lumière, iridescenses et curiosités
Dès l’Antiquité, les arcs-en-ciel dans les gouttelettes d’eau, la diffraction de la lumière par un fil d’araignée ou autour du Soleil par temps de brouillard, ainsi que les interférences sur des bulles de savon étaient perçus comme des ‘’curiosités’’ mystérieuses de la lumière. Grimaldi et Newton tentèrent les premières expériences reprenant le flambeau d’Euclide, qui le premier observa la diffraction par une fente.

2 - Les spectrographes à prismes et prismes-objectifs

Après son génial inventeur, Joseph Fraunhofer qui le premier calculera les longueurs d’onde de 7 raies spectrales noires dans le spectre de Soleil, on retrouvera les noms de Jules Janssen et Georges Rayet qui en 1868, lors d’une éclipse de Soleil visible aux Indes et au royaume de Siam découvrirent dans le spectre solaire 3 raies spectrales d’un nouvel élément alors inconnu sur Terre ils le nommèrent hélium. Giovanni Amici qui imagina un système composé de 3 prismes, un flint inversé entre deux crown, Louis Thollon qui inventa un spectroscope très dispersifs à 4 prismes composés crown-flint en double passage, Jean Bosler, en 1914, lors d’une éclipse de Soleil à Stromsund (Suède), découvrit dans la couronne solaire une raie rouge inconnue appelée coronium une surprise car les éclipses précédentes avaient montré une raie verte du coronium, en 1942 Edlen calculera qu’il s’agit de fer ionisé FeXIV 530nm et FeX 637nm
Notons aussi Edward Pickering et Charles Fehrenbach pour les prismes sans fente, multi-objets, pour les champs stellaires et même les galaxies

3 - Les réseaux, phénomènes de diffraction et d’interférences, et leurs montages
Les deux dernières de sa vie, Joseph Fraunhofer, inventa les réseaux à fils puis gravés sur verre montrant leur haute luminosité par rapport à la diffraction par une fente et découvrant que les spectres se répartissaient en divers ordres avec une dispersion proportionnelle au numéro de l’ordre. Jacques Babinet élargit l’usage du réseau à toutes les incidences y compris rasantes mais aussi par réflexion ; il établit les formules de la différence de marche en conséquence. Éleuthère Mascart, découvrit qu’il existait une minimum de déviation favorable pour le réseau avec i=i’ et fut le premier à établir à 589,43nm a longueur d’onde de D1 reconnue comme Primary Standard en 1864, avant la mesure d’Angstrom en 1868. Hippolyte Fizeau qui avec un interféromètre de son invention, franges à l’infini, mesura que, pour la même épaisseur, il avait défilé 983 anneaux de D2 pour 982 anneaux de D1 méthode de coïncidence permettant de relier de manière parfaite ces deux longueurs d’onde et d’envisager un système cohérent. Henry Rowland qui réalisa des réseaux de grande qualité et eut le génie d’imaginer des réseaux concaves faisant fonction de collimateur et de caméra, irremplaçables pour le domaine ultraviolet. La fente et les multiples chassis photographique se répartissaient sur un cercle de Rowland de 6,4m de diamètre ; dans le 2e ordre le spectre avait 1m90 de long entre 4600 et 6500Å, quatre plaques de 20 inch étaient nécessaires. Albert Michelson qui inventa un échelon formé par empilement de lames minces à très grande différence de marche, résolution de 400 000, qu’il utilisa par transmission. Il imagina aussi un échelon par réflexion sous une incidence de tg 4, chose surprenante car c’est avec un réseau échelle de Milton Roy de tg4 également que le spectrographe Elodie d’André Baranne permit la découverte de la première exoplanète.

4 - Les interféromètres à ondes multiples
Hippolyte Fizeau et Léon Foucault, avec leur interféromètre à deux ondes, furent les pionniers, ils découvrirent des raies spectrales dans l’infrarouge, preuve que ce rayonnement n’était pas calorique, mais bien de la lumière.
Alfred Pérot et Charles Fabry furent les inventeurs et promoteurs des interféromètres à ondes multiples, un pilier de la spectroscopie à haute résolution. Georges Courtès a repris cette grande tradition qui tient désormais toute sa place dans la spectrographie 3D.

5 - Les télescopes
Le télescope de 80 cm de diamètre de Léon Foucault fut le premier à miroir argenté. Nous préciserons la forme de ce miroir qui corrigeait l’aberration sphérique de l’allongeur focal et son barillet moderne sur coussin d’air
Plusieurs télescopes modernes miroir de Mangin
En 1876 le colonel Mangin eut l’idée de polir et d’argenter la face arrière d’un ménisque divergent et d’optimiser les courbures des deux faces pour réduire l’aberration sphérique, nous avons découvert récemment que Christian Huygens avait déjà calculé cette solution ignorée par Mangin et jusqu’à nos jours. Les miroirs de Mangin sont désormais utilisés comme secondaires Cassegrain de grands télescopes.
Nous donnerons les propriétés optiques du télescope aplanétique d’Henri Chrétien, déjà cité, et celles du télescope anastigmatique à trois miroirs de Maurice Paul, 1935 ; cette combinaison optique a été retenue pour le nouveau télescope Vera Rubin de 8,4m de diamètre.
Nous développerons les calculs des correcteurs des télescopes Ritchey-Chrétien qui furent l’objet de la thèse d’André Baranne mais aussi lla modification qu’il apporta à la forme du miroir primaire, quelques années épiques pour détrôner la solution parabole-hyperbole.

6 - Vers la Spectrographie intégrale de champ
Georges Courtès débuta ses recherches sur les régions d’hydrogène ionisé sous l’égide de Stromgren. Il construisit un appareil catadioptrique à grand champ (150°, F/1.8) qui lui permit de photographier en H la Voie lactée du sud et les Nuages de Magellan en 1954 lors d’une mission de recherche de site pour le futur télescope Européen alors programmé en Afrique du Sud.
Il construisit des réducteurs focaux pour étalon de Pérot-Fabry mais aussi pour de la spectrographie multi-fentes et multi-objets. Il imagina en 1962 un filtre à Bandes Passantes Multiples photographies simultanées en plusieurs couleurs pour galaxies mais aussi sur le Soleil dans l’UV lointain avec Bonnet à Hammaguir.
En 1964 Courtès eut l’idée de disposer au foyer du télescope de 193cm une trame de lentille derrière un étalon de Pérot-Fabry, chaque lentille éclairée donnait un anneau d’interférence ; ce montage intégral de champ avec Pérot-Fabry donnait pour la première fois une courbe de rotation précise d’une galaxie, M33, et permettra à Courtès d’obtenir, en1968, du temps d’observation au télescope de 5m du Mont Palomar chose rare pour les étrangers.
Annoncée en 1982, réussie en 1987, la spectrographie intégrale de champ à trame de lentilles - chaque lentille éclairée en faisceau fermé donne une micro pupille, quasi pontuelle - fut la dernière découverte de Georges Courtès peut-être la plus décisive pour l’étude des galaxies et nébuleuses.

James Lequeux*, astrophysicien de l’observatoire de Meudon, dirigea la station de Radioastronomie de Nançay puis l'Observatoire de Marseille. Il a observé aux foyers primaires et Cassegrain des grands télescopes de 3.6m de l’ESO et CFHT. Il a été durant une quinzaine d’années rédacteur en chef de la revue européenne Astronomy et Astrophysics. Lequeux est l’auteur de nombreux ouvrages d’astrophysique notamment sur la matière interstellaire ainsi qu’un beau livre, richement documenté, Astronomie, à la conquête de l’Univers édité par l’observatoire de Paris Editions de Monza. Historien de l’astronomie et de l’optique il est l’auteur de livres sur Arago, Fizeau et Foucault.