Les sphères concentriques et les épicycles




Les Ecoles de Bagdad et du Caire, de Séville et Tolède marquèrent l’apogée de la théorie des épicycles.
Ici un globe céleste du XIVe et un astrolabe sphérique, très rare, du XVe.
Image History of Science, Oxford, in Histoire des sciences arabes, Roshdi Rashed, éd. Seuil.

Tenter d’expliquer les boucles de rétrogradation qu’effectuent les planètes dans le zodiaque sur la base de mouvements circulaires centrés était déjà un exercice difficile e gageure mais s’’imposer la contrainte d’un moteur unique, la sphère étoilée, entrainant les 7 astres errants Saturne, Jupiter, Mars, Soleil, Vénus, Mercure et Lune était une gageure.
Platon, en lutte contre l’astrologie alors naissante, avait fixé pour but d’expliquer, par la géométrie, …les élongations maximales de Mercure et Vénus… et les boucles de rétrogradation de Mars, Jupiter et Saturne… hélas…les 27 cercles d’Eudoxe ou les 55 sphères d’Aristote étaient des modèles mathématiques coupées du mouvement réel des planètes.
Ainsi le système d’Eudoxe prévoyait-il que Vénus mettait 292 jours à passer de son élongation maximum du matin à son élongation maximum du soir, et autant au retour… alors qu’Héraclide du Pont, dans le même siècle, venait de montrer que Vénus tournait autour du Soleil en mettant 143 jours pour le passage le plus court, à proximité de la Terre, et 441 jours dans son chemin plus long, au delà du Soleil.
Le système d’Eudoxe prévoyait une révolution synodique de 260 jours pour la planète Mars alors que depuis les Chaldéens on la savait de 780 jours ; il lui faisait ainsi faire 3 rétrogradations au lieu d’une seule.  


Le système des sphères homocentriques imaginé par Eudoxe de Cnide était un emboîtement de 27 sphères mobiles autour d’un même centre : 3 sphères pour le mouvement du Soleil, 3 pour la Lune, 4 pour chacune des 5 planètes et la dernière pour représenter le mouvement des étoiles. Ces cercles mobiles tournaient autour d’axes différents, imbriqués les uns dans les autres comme un système de cardans. Ce graphique de Pierre Pellegrin, in Aristote Les génies de la sciences Pour la Science 2005, permet de se faire une bonne idée de l’accrochage des sphères entre elles. Le système de 55 sphères d’Aristote et de Callippe comprenait 33 sphères déférentes et 22 sphères réactives, une gymnastique intellectuelle assez stérile.

Ce graphique de Pierre Pellegrin, in Aristote Les génies de la sciences Pour la Science 2005, représente les trois sphères de la Lune entrainées par la sphère extérieure. Dans la sphère extérieure, l’orbite circulaire en couleur bleu correspond au mouvement diurne, 1 tour en 23h56m. Dans la deuxième sphère, l’orbite circulaire en couleur rouge, correspond au mouvement le long de l’écliptique écliptique, 1 tour en 27,32 jours. Quant à la troisième sphère l’orbite en couleur orange représente l’obliquité du plan de l’orbite lunaire qui effectue 1 tour en 18,6 ans. Une décomposition mathématique artificielle en trois temps et trois espaces.



Mais comment, ce grand système d’horlogerie pouvait-il tourner s’il n’y a pas un moteur ? Pour Aristote le «moteur du monde» était la sphère étoilée, qui, à son tour, entraînait les planètes, depuis Saturne la plus lointaine jusqu’à la Lune la plus proche de nous.

Il ne s’agissait plus ici de sphères mathématiques comme Eudoxe mais bien de sphères qui se voulaient «réelles», couplées entre elles. Chaque sphère était entraînée par la sphère adjacente extérieure et entraînait la sphère adjacente intérieure, et de proche en proche jusqu’à la Lune. Mais pour que chaque planète puisse rester autonome par rapport aux autres et à la sphère étoilée, Aristote dut intercaler 22 sphères compensatrices entre les 33 sphères motrices d’Eudoxe, … 55 en tout. Une sorte d’embrayage-débrayage permettant de réinitialiser chaque planète.

Du vivant même d’Aristote : Callippe, Polémarque, Théophraste, Eudème et Alexandre d’Aphrodisias firent des objections très graves à ce modèle de sphères concentriques qui ne permettait pas d’expliquer la grande variation d’éclat de Vénus et de Mars, conséquence de leur grande variation de distance totalement incompatible avec des orbites circulaires de Vénus et de Mars centrées sur la Terre. 


La planète tournait sur un petit cercle épicycle dont le centre circulait lui-même sur un grand cercle déférent centré sur la Terre. On adaptait les rayons des cercles et les périodes de rotation.



Le Soleil tournait sur son épicycle en un an et l’épicycle tournait également en un an sur le grand cercle déférent de couleur bleu. L’orbite résultante était le cercle décalé de couleur jaune, un cercle excentré tout simplement.

Les deux systèmes, excentrique et épicycle, arrivent au même résultat, mais peut-on dire qu’ils sont équivalents? Non, l’un fait appel à un mouvement unique, l’autre à deux mouvements

Simulation au planétarium de Munich des boucles de rétrogradation des 5 planètes au cours d'une quinzaine d'années.
Image in L'astronomie par Fred Hoyle, 1962 Editions du Pont Royal

Ces mouvements apparents, fort déroutants, laissaient perplexe les observateurs assidus du ciel. On en peut qu'admirer la perspicacité des Astronomes de l'Antiquité qui surent démêler un écheveau aussi complexe.

Dans le cas de Mars, Jupiter et Saturne les planètes supérieures, extérieures à la Terre, le petit cercle épicycle tournait en un an, tandis que son centre glissait tournait en 2, 12 ou 30 ans sur le grand cercle déférent.

La planète décrivait tous ces tortillons, ici la ligne bleu. Des orbites irréalistes mais un modèle mathématique utile.

A droite, vues de la Terre, les planètes semblent décrire ces «boucles», fort ressemblantes aux boucles des épicycles, mais en réalité leur orbite est circulaire, elliptique depuis Képler



Dans le cas de Mercure et Vénus, les planètes inférieures comprises entre la Soleil et la Terre, elles tournaient sur leur épicycle en 116 et 584 jours et c’est le centre de ce petit cercle épicycle qui tournait en un an sur le grand cercle déférent ayant la Terre pour centre.

En haut on comprend pourquoi Mercure et Vénus ne s’écartent jamais du Soleil, tantôt étoiles du matin, tantôt du soir. Dans l’Antiquité, rapporte Syvain Bailly*, la planète Vénus était tour à tour nommée comme deux astres différents : Lucifer, étoile du matin et Vesper étoile du soir.


Bailly Jean-Sylvain, 1781, Histoire de l’Astronomie ancienne book.google.fr

Au IIe siècle de notre ère, Ptolémée introduit en astronomie le système mathématique des épicycles sans doute inventé par Apollonios de Pergame. sur le graphique de gauche la planète tourne sur un petit cercle épicycle dont le centre tourne sur un grand cercle déférent et sur le grahique de droite, l’orbite en tortillons de la planète.



L’équant des vitesses de Ptolémée est considéré comme son «titre de Gloire», notre collègue Jean-Pierre Verdet, spécialiste de Ptolémée préfère parler de «tricherie géniale». En effet le dédoublement du centre des distances et du centre des vitesses est un modèle mathématique arbitraire qui permet certes de prévoir les orbites des planètes, mais qui ne possède aucune réalité physique.

La première anomalie découverte dans le ciel, il y a des millénaires, fut la variation de vitesse de la Lune tantôt 11° de décalage par jour, tantôt 15°. C’est seulement plus tard les Chaldéens découvrirent que la variation, de 11 à 12, du diamètre de la Lune, donc de sa distance. En astronomie, presque toujours, les vitesses ont précédé les distances, souvent plus faciles à mesurer et de meilleure précision.

C’est parce que Képler s’était imposé comme contrainte la «loi des aires» qui lie les distances aux vitesses, qu’il découvrit la forme elliptique des orbites planétaires, avec un foyer unique. Il enterrait le «dogme» des mouvements circulaires et uniformes : désormais les distances étaient inégales, de l’apogée au périgée, et les vitesses non-uniformes.

Ptolémée, suivi par les Ecoles de Bagdad, Cordoue et Tolède, déploya son immense talent mathématique pour ajuster cette horlogerie mathématique sur les positions des planètes. …Une horloge pour chaque planète… Ajuster le diamètre du petit cercle et du grand cercle déférent… Choisir leur période de rotation. …Cela ne suffit pas!…On n’hésite pas à décaler les centres — ici à droite 4 centres différents, adieu l’élégante simplicité platonicienne… On veut encore faire mieux! … On rajoute un nouvel étage d’épicycles, puis ici à gauche, on fait tourner les centres eux-mêmes sur des épicycles.

Ptolémée avait atteint la célébrité et fit Ecole dans l’astronomie Arabe une brillante Ecole mathématique même si les progrès de l’astronomie ne vinrent pas de là, mais des Ecoles de Bagdad et de Tolède qui développèrent des instruments nouveaux d’observation et améliorèrent les éphémérides perpétuelles des planètes.


Graphiques associant épicycles et excentriques in Roshdi Rashed avec la collaboration de Régis Morelon, 1997, Histoire des sciences arabes, tome 1 Astronomie théorique et appliquée, éditions du Seuil.