Le pôle ! un endroit vide d'étoiles selon Pythéas




Cette mosaïque, de coquillages et pierres ornées de cornaline et lazulite, dite «étendard» d’Ur représente des scènes de la Guerre et de la Paix. Image britishmuseum.org/publishing, British Museum Press
Cet admirable Trésor royal d’Ur, aujourd’hui au British Museum, est fort ancien, 2600 ans avant notre ère. A cette époque l’axe de la Terre était dirigée vers l’étoile alpha du Dragon observable dans le couloir de la pyramide de Khéops.

L’observation du pôle céleste, jugé «vide d’étoiles» par Pythéas contrairement à l’opinion d’Eudoxe de Cnide, fut confirmée par Hipparque, deux siècles plus tard. Eudoxe, est ce grand savant qui conçut le système de 27 sphères homocentriques, qui reproduisait le mouvement apparent des planètes avec pour chacune 3 à 4 sphères emboitées, d’axes et de périodes de rotation propres. Il avait construit «la sphère céleste la plus célèbre de l’Antiquité» ce fut le premier catalogue d’étoiles, reportées une à une sur une sphère mais des observations effectuées avec des instruments mobiles sans graduations ni viseurs ou alidades.
Cicéron* juge ainsi Eudoxe : «Il lui manquait le moyen d’observer, même en gros, les hauteurs et les culminations des astres, ceci résulte entre autres faits, de ce qu’il pensait qu’il existe une étoile, qui, dans le mouvement diurne, conserve toujours la même place, marquant ainsi le lieu du pôle, opinion qu’Euclide répétait encore un siècle plus tard».
Le gnomon, tel celui de Pythéas, permettait une observation précise du pôle céleste, c’est le premier instrument stable permettant des mesures reproductibles, il ouvrit la voie aux grands observatoires arabes de Bagdad et de Tolède et bien sûr aux majestueux instruments d’Uraniborg, l’observatoire de Tycho Brahé sur l’île de Hveen.

Cicéron, 106-43 , In astrologia, judicio doctissimorum homlnum, facile princeps, div., II, 42, p.336.


Voici le texte d’Hipparque : «Au sujet donc du pôle Nord, Eudoxe fait erreur lorsqu’il dit : "Il y a un astre qui demeure toujours au même endroit : cet astre est le pôle du monde". Et c’est qu’en effet au pôle, il n’y a aucun astre, mais un endroit vide, près duquel se trouvent trois astres, avec lesquels le signe qu’on mettrait au pôle constitue à peu près un quadrilatère, comme le dit aussi Pythéas le Massaliote».

Dans son Histoire de l’Astronomie Ancienne, Delambre* pense que ces trois étoiles seraient béta de la Petite Ourse, alpha et kappa du Dragon. C’est la solution la plus raisonnable, chacun peut le vérifier sur www.stellarium.com, il suffit d’afficher la date, 330 B.C., les lignes de coordonnées équatoriales convergent vers le pôle de l’époque et les trois étoiles identifiées par Delambre sont aisément visibles: béta de la Petite Ourse, Kocab, magnitude 2,05 ; alpha du Dragon, Thuban, m=3,65, et enfin, kappa du Dragon, m=3,85 l’avant -dernière de la queue du Dragon.

Sur cette carte du ciel, jusqu’à la magnitude 4, on peut identifier les 3 étoiles citées par Delambre et le pôle vide d’étoiles selon Pythéas. Le déplacement du pôle est un arc de 13° en 2300 ans. 

Hipparque, IIe siècle B.C., Commentaires sur Aratus et Eudoxe, I, IV.
Delambre Jean-Baptiste, 1817, Histoire de l’Astronomie Ancienne, édition Matthieu, I, page110.  

Eratosthène, 280-198, Les Catastérismes traduction en français par Pascal Charvet, 1998, Le ciel, mythes et histoire des constellations, astronomes Jean-Pierre Brunet et Robert Nadal, Nil éditions.

Voici les 3 pyramides de Gizeh : Mykérinos, Khéphren et Khéops. Le couloir de la pyramide de Khéops, dirigé vers le pôle céleste (flèche de couleur rouge), permettait d’observer le passage inférieur de l’étoile alpha du Dragon. Dans cet étroit couloir obscur, alpha du Dragon, devait même être visible en plein jour.

Si Pythéas avait eu connaissance de cette observation de alpha du Dragon, dans l’axe du couloir de Khéops, il aurait été crédité de la découverte de la precéssion des équinoxes, mais ce phénomène aurait alors porté un nom, moins énigmatique ; on peut imaginer qu’il aurait parlé de «déplacement ou la translation du Pôle» mais aurait-il imaginé le mouvement de toupie de l’axe de la Terre autour du pôle de l’écliptique ? on peut en douter.

Selon Ptolémée, Hipparque qui avait découvert le glissement du point d’équinoxe (origine des longitudes écliptiques) par rapport aux étoiles, «présuma que ce mouvement s’était effectué autour du pôle de l’écliptique».

 


«Au delà du cercle arctique, au solstice d’été, le Soleil ne se couche pas, il descend lentement sur l’horizon, et l’effleure, avant de remonter». Pythéas l’avait anticipé, mais quelle intense émotion de le vérifier, au terme d’un périple que nul ne refit pendant 12 siècles.

Ce dessin très pédagogique, quora.com explique fort bien la phénomène de la précession des équinoxes. L’étoile Véga aujourd’hui à 47° du pôle sera étoile polaire dans 13 000 ans, bel exemple pour montrer l’ampleur du phénomène. Ce schéma souligne que la précession, la rotation séculaire de l’axe de la toupie s’effectue en sens inverse de la rotation journalière de la Terre.



«Hipparque, nous dit Pline, se demandait si les étoiles n’étaient pas animées de certains mouvements, il cherchait à connaître leur longitude absolue sur l’écliptique». Une éclipse de Lune était le meilleur moment pour déterminer les longitudes de ces étoiles en mesurant «leur distance à la Lune éclipsée» et donc au Soleil. Mais la position de la Lune par rapport aux étoiles varie de près de 1° selon la position de l’observateur à la surface de la Terre, en fait selon que l’éclipse se produise au levant, au méridien (aucune parallaxe) ou au couchant. Etait-ce un grain de sable dans cette démarche? Bigourdan* nous rassure : «Les éclipses de Lune se produisent quand la Lune est dans l’ombre de la Terre». La Lune n’étant pas très éloignée de la Terre, c’est-à-dire ayant une parallaxe sensible, sa position est modifiée par cette parallaxe, relativement aux étoiles ; mais il en est de même de l’ombre qui a donc sa position modifiée de la même manière. Par suite, l’observation des phases de l’éclipse, est indépendante de la parallaxe. D’autre part la situation du cercle d’ombre est déterminée par la position du Soleil auquel ce cercle est diamétralement opposé, la longitude de la Lune diffère donc exactement de 180° de celle du Soleil». Dès lors, «connaissant avec précision la longitude du Soleil par ses Tables solaires, Hipparque pouvait donc conclure à la longitude de la Lune à ce moment-là, et par suite aux longitudes des étoiles rapportées à l’heure du milieu de l’éclipse».

Ptolémée rapporte «qu’ayant mesuré la distance de l’Epi de la Vierge à la Lune éclipsée, Hipparque trouva que cette étoile suivait l’équinoxe d’automne à la distance de en longitude. Or une observation analogue faite par Timocharis, 150 ans auparavant, donnait pour la même distance. Hipparque conclut que dans l’intervalle le point équinoxial s’est déplacé de 2° en se rapprochant de l’étoile».

«Le déplacement de 2° de l’Epi de la Vierge, entre l’époque deTimocharis et celle d’Hipparque, soit 154 ans environ, conduit à une précession annuelle de 46'.8’’ d’arc».


Bigourdan Guillaume, 1911, L’astronomie, Evolution des Idées et des Méthodes, édition Flammarion.