Qu'en pensaient marins et géographes ?




Globe terrestre de Martin Behaim, 1492, Nuremberg. Le monde tel que se l'imaginait Christophe Colomb, Image : Couleurs de la Terre, Edition Seuil BNF

La Terre n’était pas vraiment plate. Même avant Pythagore les marins au longs cours et les caravanes qui se dirigeaient vers le Sud, les faibles latitudes, avaient observé de nouvelles étoiles nouvelles très bas sur l’horizon et d’autant plus qu’ils descendaient en latitude. Elle n’était plus plate mais pas encore une sphère, il y a de multiples possibilités intermédiaires pour les petites planètes.
Ainsi, dès le VIIe siècle avant notre ère - Livre de Job - les iduméens, des pré-nabatéens, dont les caravanes descendaient au sud de Petra avaient découvert les régions cachées du ciel austral.
Vers l’an 600 a des marins phéniciens envoyés par le pharaon Néchao avaient fait le tour de l’Afrique. Après trois récoltes, trois étés - donc 1 année et demi, puisque les saisons sont inversées dans l’hémisphère sud - ces marins revinrent par les colonnes d’Héraclès en disant « qu’ils avaient vu le Soleil au Nord » preuve qu'ils avaient franchi l'équateur. Hélas on ne les prit au sérieux… Pauvres phantasmes de matelots ignorants !
Dans la Divine Comédie, Dante, initié par les navigateurs Portugais, rappelle que deux constellations les 4 étoiles claires - la Croix du Sud - et les trois flambeaux - le Triangle austral - indiquaient alors le pôle austral. Là, indique le poète, « les étoiles sont plus lentes, comme une roue près de son essieu ». La Croix du Sud est à 30° du pôle. Le pied de la Croix indique la direction du pôle sud qui est situé à environ 5 fois la longueur de la Croix.

Les Conquérants, six sonnets des Trophées, portent la marque des ascendances espagnoles de José Maria de Heredia qui naquit à Santiago de Cuba. « …De Palos de Moguer, routiers et capitaines…Et les vents alizés, inclinaient leurs antennes…Ou penchés à l’avant des blanches caravelles… Ils regardaient monter en un ciel ignoré… Du fond de l’Océan des étoiles nouvelles. » En route vers Cipango, le Japon, ils naviguaient alors vers le sud. 

Dès le XVIIe, les marins qui franchissaient le Cap Horn s’étonnaient de voir une Lune différente : comme une figure difforme désormais inversée, le haut en bas. Les constellations du Bélier, du Taureau, Gémeaux, Cancer, Lion culminent désormais de l’autre côté n du zénith (côté Nord), elles sont désormais difficiles à identifier car inversées, le haut en bas. Explorateurs et marins se sentent déboussolés. 

Les astronomes doivent également changer leurs réflexes : dans leur coupole, le grand pilier qui supporte la monture du télescope est désormais situé au Sud et, au cours de la nuit, le télescope tourne dans l’autre sens si l'on se présente face à ce grand pilier désormais au Sud.



Carte dite de Christophe Colomb, Bibliothéque Nationale. A voir dans in Les Portulans par Michel Mollat du Jourdin et Monique de la Roncière, Office du Livre, Fribourg, 1984.

Les portulans sont des cartes marines qui indiquent le cap à suivre pour atteindre le port selon la ligne directe de la loxodromie ; ces cartes sont planes pour des raisons pratiques mais cela ne remettait pas en cause la rotondité de la Terre. Afin de représenter les territoires dans leurs justes proportions, les géographes, depuis Ptolémée - IIe siècle - utilisaient des projections savantes en longitude et latitude pour établir leurs mappemondes sphériques.

Christophe Colomb savait que la Terre était ronde. Voici, sur ce parchemin en peau de mouton, la carte qu’on lui attribue : à droite on voit le portulan. Il indique les azimuts des différents ports pour les marins qui naviguent à l’estime comme à la boussole. Cette carte plane pourrait porter à confusion s’il n’y avait rien d’autre à côté, mais à gauche, on découvre la représentation sphérique des continents, avec un globe terrestre lui-même entouré des 7 sphères des planètes et de la sphère des étoiles fixes. Le texte explicatif écrit dans la cartouche, ne laisse aucun doute.

Christophe Colomb croyait avoir atteint les Indes, même après son 4e voyage. Le doute d’un nouveau monde possible ne l’effleura. Pourtant, 15 siècles plus tôt, le géographe Strabon avait écrit qu’« en suivant le parallèle d’Athènes à travers l’Océan Atlantique on pouvait admettre qu’il y ait deux terres habitées et même plus ».

Les portulans, souvent nommés compas de navigation, reportent les routes maritimes d’un port à un autre : une navigation loxodromique à cap constant. 

Comme on navigue à la surface d’une sphère, ces représentations planes sont pratiques pour garder le cap et atteindre son objectif. Fruit de l’expérience des anciens pilotes, ces cartes à l’estime basées sur la rose des vents puis le compas magnétique s’approchaient mieux de la réalité pratique des marins que les belles mappemondes en projection sphérique de Ptolémée… dont le principe était parfait…mais qui contenaient d’importantes erreurs en longitude…inévitables à cette époque. 

En 1610, en utilisant les périodes de rotation des satellites de Jupiter que Galilée venait de découvrir, Fabri de Peiresc corrigera les longitudes de la Méditerranée, réduisant de plus de 1000 km son bassin oriental. Jusqu’alors on conseillait : «une correction d’un quart de vent au nord pour accoster en Crête en partant de Malte»



Ce manuscrit du XVe siècle conservé à la Bibliothèque Nationale de Naples provient de la Bibliothèque Farnèse, c’est l’un des plus soignés tant du point de vue géographique que de celui de l’enluminure. Les têtes d’amour soufflant les vents de la mer Egée, aux noms de Zéphir, Aquilon… en impression or, sont de Francesco d’Antonio del Chierico, un des plus élégants miniaturistes de la Renaissance florentine.

Ici, en projection conique, la carte générale de cet atlas qui en détaille 26 autres, au format trapézoidal, et également graduées en longitude et latitude.

En haut à gauche on reconnaît, des iles Britanniques à la Scandinavie l’Europe du nord, découverte par la mer au IVe siècle siècle par l’astronome Pythéas le Massaliote dont Hipparque fera l’éloge pour avoir donné avec grande précision la position du pôle céleste alors vide d’étoiles et la valeur de l’obliquité de l’écliptique 11/ 83 (ici la double). 

En bordure Nord-Ouest, sur la ligne du cercle polaire, Ultima Thulé, l’Islande où Pythéas observa le Soleil de Minuit lors du solstice d’été, puis, à une journée de navigation plus au nord fut arrêté par les glaces flottantes, «là où on ne peut plus ni marcher, ni naviguer».

Cette autre carte du monde habité de Ptolémée, également gravée à la Renaissance, n’est plus en projection conique directe mais en projection conique arrondie. Les méthodes différentes utilisées par Ptolémée pour construire ses cartes sont expliquées par Germaine Aujac, helléniste émérite, spécialiste de Ptolémée et des textes grecs relatifs à l’astronomie, ceux de Géminos de Rhodes ou Autolycos de Pitane, et à la géographie, ceux de Strabon.
A lire : Claude Ptolémée astronome, astrologue, géographe par Germaine Aujac, éditions du CTHS, 1993.



Au nord-nord-est des îles britanniques on aperçoit une île marquée Orchad, les Orcades,… mais ne serait-ce pas plutôt les Shetlands ? … et juste au nord, sur le cercle polaire : Tile, l’Ultima Thulé du périple de Pythéas.

Au delà du cercle polaire l’auteur de cette carte a ajouté, par rapport à la précédente, une extension de l’Océan intitulée Mare glaciale, la mer gelée, le poumon marin dont a parlé Pythéas le Massaliote. Au nord-ouest de cette mer on aperçoit, avec surprise, une île intitulée Atlantida dont l’aspect massif et la localisation nous semble correspondre beaucoup mieux à l’Islande. Qui ? Comment ? A quelle époque ? a-t’on pu introduire une telle information sur cette carte datée de 1482. Un explorateur «à la Christophe Colomb» qui aurait effectué une première tentative par le Nord ? Rappelons que lors de la célèbre expédition où il découvrit les Antilles en 1492, Christophe Colomb avait déjà 41 ans. Ajoutons que dès son mariage au Portugal, en 1476, Christophe Colomb avait déjà étudié la Géographie de Ptolémée et l’Imago Mundi de Pierre d’Ailly