Qu'en pensent les philosophes ?




Mycènes XIIème siècle avant notre ère. Cercles de tombes. Image : l'Europe au temps d'Ulysse, éd. Réunion des Musées nationaux .

Qu’en pensent les philosophes ?
L’utopie d’un monde céleste différent était déjà idéalisé et divinisé par Platon.
Aristote opposait la nature du monde terrestre désordonné et putrescible, au monde céleste ordonné et immuable. Un monde terrestre constitué de 4 éléments la Terre, l’Eau, l’Air et le Feu, et un monde céleste constitué d’une essence différente, la 5e, ou Quintescence nommée Ether

Platon montre le Ciel, «le monde des Idées», Aristote désigne la Terre, «le monde de l’Expérience». Pour Platon, la vérité scientifique émerge par une réflexion approfondie, un examen contradictoire et l’émergence de nouvelles idées, ce que Socrate dénommait la maïeutique, l’art d’accoucher nos connaissances enfouies, de se creuser les méninges. Pour atteindre la vérité scientifique, Aristote s’obstine à vérifier les faits selon une méthode expérimentale rigoureuse. 

Platon et Aristote considèrent que sur Terre le mouvement rectiligne de la chute des corps est imparfait car en ligne droite on ne peut effectuer qu’un parcours borné, avec un début et une fin. Pour eux, dans le Ciel, le mouvement circulaire uniforme des astres représente la perfection : un cycle perpétuel, éternel, sans «génération initiale» ni «corruption finale».



Dans ses Dialogues, Platon rapporte l’enseignement que Socrate avait retenu avec bonheur de Thalès, d’Anaximandre et de Pythagore :


« La Terre est ronde, elle demeure suspendue et immobile au milieu du Ciel ». 

« Le Ciel présente de tous côtés la même disposition ». 

« Pour ne pas tomber,
la Terre n’a besoin ni de l’air qui se trouve au-dessous d’elle,
ni d’aucune autre base semblable ».


Le Ciel présente une symétrie sphérique. 

La Terre présente une symétrie sphérique. 

Dans la représentation de l’Ecole d’Athènes, Raphaël a représenté Hipparque, de face portant la sphère céleste. Celui que l’on nomme «le plus grand Astronome de l’Antiquité» vécut au IIe siècle avant notre ère et effectua ses observations astronomiques dans l’île de Rhodes. Face à lui et de dos : Ptolémée portant la sphère terrestre.

Claude Ptolémée, qui vécut au IIe siècle de notre ère, recueillit l’héritage astronomique d’Hipparque, son Almageste ou Composition mathématique, marque l’apogée de l’astronomie grecque. Ptolémée est aussi l’auteur d’une Géographie du monde habité étoffée de 26 cartes splendides. 

Quelques critiques d’art ont cru reconnaître Strabon dans le géographe qui ici porte la Terre. Ce n’est guère envisageable, la couronne que porte ce personnage ne laisse aucun doute, c’est celle de la grande famille des Ptolémée, ces quinze souverains macédoniens qui régnèrent en Egypte. Au moment où Raphaël peint ce tableau monumental de l’Ecole d’Athènes, un jeune astronome, Copernic, étudie à Rome et fait venir d’Athènes les traités des astronomes grecs qu’il citera abondamment dans son De revolutionibus orbium coelestium, 1543




Les corps pesants sont attirés vers le centre de la Terre. Toutes les verticales convergent vers ce centre. « Tous les graves y sont ramenés affirme Socrate. Les pierres et toutes les différentes portions de la Terre s’équilibrent entre elles, donc, conclut-il, la Terre dans sa totalité demeure immobile ».


La Terre ne peut s’écarter de ce centre sans y être aussitôt ramené. Il s’agit d’un centre d’attraction physique, et non d’un centre géométrique abstrait. Plus tard Aetius et Plutarque étendront à tous les corps célestes cette théorie de la «Cohésion» : la Lune et les planètes ont aussi un centre spécifique d’attraction qui maintient leur cohérence. Newton montrera comment cette théorie de la cohésion s’intègre dans une gravitation générale

Aristote eut le génie d’étendre aux fluides le principe de la chute verticale des corps solides. il entreprit de démontrer géométriquement la sphéricité de la surface des eaux.

« Que la surface de l’eau soit sphérique, cela est manifeste,
si l’on accepte cette hypothése : 
la nature de l’eau est de s’écouler vers les lieux les plus bas,
et ce lieu-là est le plus bas qui est le plus voisin du centre »
 

Pour la première fois on tentait d’appliquer le raisonnement mathématique à l’établissement d’une loi de l’équilibre des corps pesants. C’est le fondement de l’hydrostatique et sa première application à la figure d’équilibre des mers et nouvel argument à l’appui de la sphéricité de la Terre. C’est la fin des légendes populaires sur la disparition, au grand large, d’intrépides navigateurs qui auraient sombré et dans de terrifiants abysses sans fond



Les Pythagoriciens pensaient que le Feu était plus noble que la Terre. Il devait donc occuper la place la plus noble : le centre. Plutarque rapporte que : 

«Les pythagoriciens faisaient tourner la Terre autour du feu central ne voulant pas lui attribuer le lieu qui est dans le monde le plus antique et le plus honorable.
Ils réservaient la position la plus centrale et la plus digne,
à un autre être plus puissant»
.

Le successeur d’Aristote, Théophraste, savant digne de foi et de grande autorité, rapporte que Platon « dans sa vieillesse s’était repenti d’avoir attribué à la Terre la place centrale de l’Univers qui n’était pas pour elle la place convenable ». 

Il regrettait «de ne pas avoir réservé la position la plus centrale et la plus digne à un maître plus puissant». Un Soleil, moteur et âme du monde.

Dans ce tableau Raphaël a prêté à Platon dans sa vieillesse les traits de Léonard de Vinci âgé

La lune elle-même n’est pas claire, 
Les étoiles ne sont pas pures à Ses yeux, 
Combien plus l’homme qui n’est qu’un ver.

Livre de Job, VIIe siècle

Mais aux yeux du sage Job, un sémite de la lignée d’Esaü, la perfection des cieux n’existait pas. Job avait vu des ombres sur la Lune, il n’était certainement pas le seul.

D’autres dans l’Antiquité avaient même vu à l’œil nu des taches sur le Soleil, mais ce ne fut pas explicitement interprété comme une imperfection du Soleil. Au moyen âge carolingien, Alcuin observa une tache solaire qui dura 8 jours mais il crut qu’il s’agissait d’un passage de Vénus sur le Soleil, grave confusion car un tel passage ne dure que quelques heures, et non plusieurs jours



Atlas portant le monde dit Atlante Farnèse. Cette sculpture du IIe siècle av. J.C., est contemporaine du catalogue d’Hipparque. En oblique, le long des trois lignes parallèles, on reconnaît les constellations du zodiaque, ce sont les douze maisons successives que vient occuper le Soleil au cours des 12 mois de l’année. On voit en haut à droite la constellation du navire Argo avec ses deux gouvernails latéraux, une constellation australe.

Quel but tracassait Hipparque quand il entreprit son grand catalogue de coordonnées de ces étoiles dites immuables ? L’œuvre d’Hipparque nous sera connu partiellement, par l’intermédaire de Ptolémée, mais grâce à Pline l’Ancien 23-79 on connaît la vision audacieuse d’Hipparque, quasi-prophétique, à l’origine de tant de découvertes de l’astrophysique moderne :

«Hipparque, qu’on ne louera jamais assez, reconnut une étoile nouvelle qui venait de naître de son temps (c’était une nova galactique, comme celle du Cygne en 1975)…Pour la postérité, il entreprit de compter les étoiles – tâche qui eut fait reculer même un Dieu – afin de reconnaître s’il en naissait de nouvelles ou s’il en disparaissait… si quelques-unes se déplaçaient… si leur éclat augmentait ou diminuait». Pline, Histoire Naturelle, 2,95

Ainsi, un siècle après Platon et Aristote, Hipparque imaginait la variation d’éclat et le déplacement des étoiles, leur naissance ou leur disparition, remettant déjà en cause des cieux immuables et éternels. Avec la vie et la mort des étoiles c’est un peu la naissance de l’astrophysique que l’on doit à Aristote